Pour Olga

– À Olga Bancic, Résistante et unique femme du groupe Manouchian, emprisonnée en Allemagne, puis décapitée par les nazis, le 10 mai 1944

À toutes les femmes de courage et de conviction qui luttent chaque jour pour un monde meilleur –


Pourquoi avoir reçu un autre châtiment

Que vos compagnons d’armes ?

Était-ce une faveur d’être ainsi séparée

Pour avoir été femme ?

Faut-il plus de courage devant un peloton,

Lors d’une exécution de peine capitale,

Qu’en étant déportée dans une autre prison

En attendant l’instant où tombera la lame ?

En ces temps de mémoire je veux vous rendre hommage

Ainsi qu’aux autres femmes

Qui de toute leur âme se sont un jour levées,

Quelles que soient leurs armes,

Et malgré les dangers, la torture, l’angoisse,

N’ont pas fait volte-face

Et se sont engagées, dignes, déterminées,

Œuvrant avec courage

Pour rétablir le cours de notre destinée

Sachant la mort en face

Sur le mont Valérien

– À Missak Manouchian, à sa femme Mélinée et à tous les résistants

qui ensemble ont œuvré pour l’honneur de la France –

Sur le mont Valérien il n’y a plus de givre

Quatre-vingts ans séparent hier et aujourd’hui

Mais vos cœurs amoureux battent à l’infini ;

Vous auriez tant aimé goûter la joie de vivre

Le plus longtemps possible s’il vous l’était permis,

Vous qui avez chéri le soleil et la vie.

Les regarder en face est un état d’esprit

Pour lequel vous avez payé un lourd tribut.

Quand tomba la sentence de peine capitale

S’est figé votre sang dans un noir sidéral ;

L’adieu à l’existence s’est fait le jour venu.

Partisans, camarades, étiez jugés coupables

D’avoir su résister au milieu de la nuit ;

Quand les mots des poèmes butent sur tant de drames

Les poètes parfois doivent prendre les armes

Et pour la Liberté tout risquer sans déni.

Missak et Mélinée, l’ombre bleue d’Ararat

Par-delà le tombeau garde vos fières âmes ;

Nous sommes les enfants nés de votre courage

Et les petits-enfants dont l’exemple transmis

Accompagne les jours et inspire les vies.

Quatre-vingts ans après, mais qu’est-ce que le temps,

Quand on a comme vous toute l’éternité

Pour éveiller un monde qui n’a plus d’alibi,

Mais reste encore aveugle et sourd aux artifices

Que les tyrans emploient pour nous rendre complices

De leur ignominie et de leur lâcheté ?

Sur le mont Valérien qui n’est plus blanc de givre

Vos actions héroïques résonneront longtemps

Mais pour l’heur il est temps de célébrer l’instant.

Saluons cet hommage que la nation vous rend :

La justice est venue sous vos pas triomphants*.




* Référence à un vers extrait de « Strophes pour se souvenir », poème de
Louis Aragon écrit en 1955 en hommage aux vingt-trois résistants FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée) du groupe Manouchian

De rouges camélias

– À Missak et Mélinée Manouchian –

De rouges camélias fleurissent en bouquets,

Hommage des printemps que vous avez manqués ;

Vos valeureux combats ont traversé le temps,

Votre exemple pourtant nous a-t-il enseigné ?

Quand on sait ce que vit votre peuple en Artsakh,

C’est un cœur révolté qui s’indigne et s’alarme ;

L’Histoire nous ramène aux tragiques tourments

Qui ont fait basculer le monde en un instant

Voyez-vous cette Terre mise à feu et à sang ?

Beaucoup baissent les bras, d’autres prennent les armes ;

Que peut un paysan acculé dans un champ,

Et des fusils vieillots face au drone implacable ?

De rouges camélias fleurissent ce printemps

Comme autant de baisers rougissant les buissons ;

Vos valeureux combats salués à présent

Devraient donner bientôt de généreux bourgeons

Missak et Mélinée entrent au Panthéon

– À Corentin, mon grand-père –

Missak et Mélinée entrent au Panthéon ;

Avec l’Affiche rouge*, ce sont ces combattants

De l’ombre fusillés qu’aujourd’hui l’on honore ;

Espoirs et idéaux tôt chevillés au corps,

23 Partisans qui ensemble ont lutté

Soucieux de préserver honneur et dignité

Dans un pays d’accueil devenu leur patrie,

Pour que la France reste ce phare dans la nuit

Missak et Mélinée entrent au Panthéon ;

L’Affiche rouge aura fait couler beaucoup d’encre

Par la diffamation de cette Résistance

Dont le sang valeureux provenait d’étrangers.

Avec ces mots : « La France ! », criés en s’abattant,**

Leurs destinées tragiques glacent encor le sang

Laissant au goût amer empreint d’admiration

Le sentiment profond de la reconnaissance

Missak et Mélinée entrent au Panthéon ;

Dans notre cœur déjà ils avaient leur maison

Pour vivre leur amour foudroyé par la guerre ;

Orphelins échappés d’une autre tragédie,

Survivants de l’enfer aspirant à la paix

D’une France d’avant que ne monte la haine,

Avant les bruits de bottes rythmés des occupants,

En se tenant debout avec humanité

La poésie venant inspirer leur élan

Missak et Mélinée entrent au Panthéon,

Réunis à jamais dans leur éternité ;

Le sacrifice ultime qui délivre les âmes

Aura fait de ces êtres épris de liberté,

Le symbole puissant d’une vie transcendée

Par leur engagement aux racines profondes,

Pour mieux apprivoiser la frénésie du monde

En y semant des fleurs et des désirs plus grands



** Vers extrait de « Strophes pour se souvenir », poème de Louis Aragon écrit en 1955 en hommage aux vingt-trois résistants FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée) du groupe Manouchian, et inspiré de la dernière lettre écrite par Missak Manouchian à sa femme Mélinée avant d’être fusillé.

* Ce poème mis en musique et chanté par Léo Ferré, est connu sous le titre célèbre de « L’Affiche rouge »

Ce que nous en ferons

Notre monde sera ce que nous en ferons ;

Par les choix que l’on fait, engagés et sincères,

Par notre liberté d’agir et de penser

Nos esprits avisés et nos consciences claires

Par les combats menés, par nos yeux grands ouverts,

Nos rêves assumés, nos chansons et nos vers,

Nos refus obstinés d’avaler des vipères ;

Bien avant que nos corps soient en momies changés

Notre monde sera ce que nous en ferons