Grain de sable au tribunal

Briques et béton
Bois et métal
Et des bavards en toge noire
Avec une touche d’hermine.

Brouhaha et conciliabules
Dans les couloirs, les vestibules ;
Certains s’asseoient, d’autres se lèvent,
Parfois hésitent, vont et viennent
Ou se résignent sur un banc
La mine grave et le teint blanc.

Les dossiers s’empilent au greffe
De la Chambre correctionnelle :
Histoires emmêlées
Classées dans des chemises
Aux couleurs variées,
Unique fantaisie.
Humour et poésie
Ne sont guère de mise
Dans ce lieu si sérieux,
Où le trac nous saisit.

Les magistrats font leur entrée,
Tout se prépare et s’organise.
Les pièces et les conclusions
Changent de main pour qu’aboutissent
Les décisions de la justice,
Dans le respect de l’instruction.

C’est alors que le grain de sable
Soudain se prend dans les rouages
De la machine bien huilée :
Avec son manteau, son bonnet,
Resté debout près de l’entrée,
Un homme attend dans le prétoire
Les yeux fermés, coupé du monde,
Comme en méditation profonde…

On interpelle à haute voix
Ce visiteur un peu à part.
S’ensuit un interrogatoire :
Qui est-il et que fait-il là ?
Vient-il témoigner à la barre ?
Est-il aidé d’un avocat ?
S’est-il trompé de tribunal ?

Il s’avance, en plein désarroi,
Sa détresse est vraiment palpable.
Puis s’adressant aux magistrats
Il commence sa narration ;
S’insurge contre la justice ,
Et demande réparation,
En dénonçant l’inacceptable
Enchaînement de préjudices
À l’impossible échappatoire,
Qui le conduit au précipice…
Est-ce déjà le purgatoire ?

Un instant décontenancée
La Cour demande à ce qu’il sorte.
N’ayant pas tous les éléments
Pouvant instruire son affaire,
Il doit attendre qu’elle reporte,
Sans s’obstiner, son jugement.
Mais il refuse de se taire
Car cela serait sans compter
Cette belle opportunité
D’exposer en pleine lumière
Et devant un tel auditoire
Sa lente descente aux enfers…

Il nous livre la tragédie
D’un accident, quatre ans avant,
Le plaçant au rang de victime
D’un chauffard qui, prenant la fuite,
Le laissa blessé et gisant…
Il énumère les galères
Qu’il a subies et traversées,
Et tout son être se rebelle ;

Une opération mal passée
Dont il porte encor les séquelles
Et ne digère pas l’offense ;
Toutes ces années de souffrance,
De formalités aberrantes
D’une opacité confondante
Qui ajoutèrent leurs barrières,
Peu à peu se muent en colère.
Travail perdu, couple brisé,
Rêves déçus, destin gâché…
Un soutien jamais arrivé.

On redemande qu’il sorte.
Une avocate l’exhorte
À la suivre pour tenter
De régler ce casse-tête,
Mais il refuse tout net
De suivre la sommation.
Alors quelques policiers
Viennent le raccompagner
À l’extérieur de la pièce,
L’entraînant sans le brusquer
Dans l’intimidant sillage
Que leur octroie leur fonction.

Qui sait comment il se nomme
Et ce qu’il fera demain ?
Qu’adviendra-t-il de cet homme
Dont j’ai croisé le chemin
Sans avoir d’autre pouvoir
Que celui de relater
Et partager son histoire ?

Peu à peu, en chuchotant,
Les parties se reconcertent,
Puis tout naturellement
Les avocats entrent en scène
Et les audiences reprennent.

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