Faire le deuil

– Aux mutilés de guerre ou de la vie civile

qui peinent à se reconstruire. –


De ces années passées où tout nous souriait,

Faire pourtant le deuil, malgré tant de regrets,

D’une part de soi-même qu’il faut abandonner.

Faire la paix avec son être,

Dès lors, apprendre à regarder

Autrement ce sur quoi, hier,

L’on pouvait sans même y penser

S’appuyer avec fermeté.

Chercher d’inédites idées,

Dépasser ses propres limites,

Toujours plus loin s’aventurer,

Vers de nouvelles réussites.

Ne pas se résoudre à rester

En marge de sa propre vie,

Continuer à s’éveiller,

Même invalide et amoindri ;

Tenter de se réinventer,

Malgré l’âge et la maladie,

Puiser en nous cette énergie

Qui donne le goût d’exister

Dans une nouvelle harmonie.

Il suffit d’un instant

– À T. –
– À ce triste pays que je vois s’enliser… –

Il suffit d’un instant pour être délesté

De ce que l’on avait honnêtement gagné,

Malgré ce serviteur, fidèle s’il en est ;

Ce fringant destrier aux éclats argentés

Qui sillonnait la ville et vous en évadait,

Vous ramenant toujours aux portes du foyer.

Il suffit d’un instant pour être dépouillé,

Comme aux temps reculés jalonnant notre histoire ;

Ces époques barbares si souvent décriées

Où malandrins en nombre venaient vous détrousser,

Brigands dissimulés dans de sombres forêts,

Bandits de grands chemins sans peur et sans pitié.

Il suffit d’un instant presque inimaginable

Pour que la force hostile et la brutalité

Gratuite se déchaînent contre un être isolé,

Désarmé, vulnérable ; expérience palpable ;

Trois contre un c’est facile, et vraiment pitoyable

Si l’on a ne serait-ce qu’un peu de dignité !

Il n’est pas conseillé d’aller seul aujourd’hui

Dans des lieux délaissés, lorsque tombe la nuit,

Au risque prévisible de devenir la cible

De tant de tristes sires à l’affût d’un butin.

Quelle époque sinistre pour les âmes sensibles ;

La lune en ses quartiers est le muet témoin

De crimes et délits se succédant sans fin.

Ravalement de façade

– À Julien Hoquet –

Vrombissements aigus, cri du métal,

Scie circulaire tranchant à vif

Le gris revêtement mural ;

Plaques arrachées, bruit de masse,

Tremblement des murs, bois qui craque ;

Et dans ce terrible vacarme,

À travers la fine poussière

Couvrant peu à peu les fenêtres,

À l’ombre des échafaudages,

Il neige du polystyrène.

Dans ce décor de cinéma,

Des panneaux blancs gisent, plus bas,

Telle une banquise brisée,

Après la débâcle échouée.