Mes larmes ne suffiront pas


– Ce poème est dédié à Anoush Apétyan, Gayané Abgaryan, Susanna Grigoryan,

ainsi qu’à toutes les victimes de la barbarie azérie… –



Mes larmes ne suffiront pas,

Ni mon dégoût, ni ma colère

Pour empêcher ce qui se joue

Sur cette terre qui m’est chère

Mes larmes ne suffiront pas,

Ni mes lettres, ni mes poèmes

Pour alerter d’autres que moi

Qui, haut placés, pourraient bien faire

Que l’impunité ne soit pas

Permise à tous ces criminels

Se plaçant au-dessus des lois

Mes larmes ne suffiront pas,

Et par moment je désespère

De voir bafoués tous ces Droits

Dont on s’enorgueillit sans cesse ;

Ces valeurs-phares que l’Europe

A prônées pendant des semaines

Quand il s’agissait de l’Ukraine

Et que l’on détourne déjà

Mes larmes ne suffiront pas,

Ni mes appels, ni mes prières,

Même en remuant ciel et terre

Pour que l’horreur ne survint pas,

Puisqu’on ne revient en arrière ;

Le monde est sourd à la détresse

D’un peuple debout qui se bat,

Et semble aveugle à la menace

Qui plane au-dessus de nos têtes

Mes larmes ne suffiront pas,

Et chacun doit être conscient

Que c’est en cédant aux tyrans

Que l’on s’avilit pour de bon ;

Soyons, de toutes les nations,

Déterminés et solidaires,

Soyons loyaux et exemplaires,

Et pour nos amis tenons bon !

Mes larmes ne suffiront pas,

Mais chacun peut à sa manière

Mettre à l’édifice sa pierre ;

En restant droit, libre et tenace

Afin que justice se fasse

Et que la paix ne soit pas vaine.

Le répit est fini

Mais si tant est qu’il ait

Un instant existé,

Le répit est fini.

Quel est donc l’alibi

Servi cette fois-ci ?

Qui peut croire à nouveau

Que cette tragédie

N’est pas pour l’agresseur

Mûrement réfléchie ?

Assez d’hypocrisie !

Regardons la souffrance

D’un peuple dans les yeux

Et osons témoigner,

Nous qui vivons en France,

De ces atrocités

Dont on connaît l’enjeu.

L’on ne peut cautionner

Aucun contrat signé

Au nom de la nation

Avec des dirigeants

Qui règnent en tyrans,

Asseyant leur pouvoir

Sur de la corruption.


Face à ces lâchetés

Qui nous rendent complices

De propos explicites

Annoncés sciemment

Serions-nous impuissants ?


L’épuration ethnique

Se poursuit pour de bon

Et nos actes iniques

Nous précipiteront

Dans l’abomination,

Si nous n’agissons pas

Comme nous le devons.

Tout est là

Ce sable poussiéreux serait votre désert

Immuable étendue où les os se dispersent,

Le gazon verdoyant vos champs d’herbe nouvelle

Dont la couleur se perd sous des rayons ardents


Ces arbres tout au fond, les forêts millénaires

Offrant leur oxygène et l’abri bienfaisant,

Où l’espoir viscéral des gens de cette terre

Fait jaillir des prières comme d’intimes chants

Juste au-dessus de nous, les merveilles du ciel ;

Ces bleus mêlés de gris changeant à chaque instant,

Ces lueurs qui élèvent ici et maintenant

Pour préparer notre âme au mystère suprême.

L’Artsakh est à vous

– Aux Arméniens et à tous les défenseurs du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes… – 

Արցախը ձերն է:

Artsakhè dzern e*


– Հայերին և ժողովուրդների ինքնորոշման իրավունքի բոլոր պաշտպաններին – 


Ainsi nous abandonnerions

Toute une région aux rapaces ;

Sans réagir nous laisserions

Vos khatchkars** à des charognards ?

Quelle est cette coalition

Qui fait la pluie et le beau temps

Au mépris d’un peuple existant

La protégeant avec passion ?


Pourquoi leur céder vos montagnes

Peuplées de l’ombre des absents,

Vos lieux saints et vos cimetières

Où dorment les corps de vos pères

Et ceux de vos chers descendants ?

Vos fidayin*** n’ont pas donné

Leur vie pour ces forêts, ces pierres,

Ces églises, ces monastères,

Cette terre pétrie de foi,

Pour que d’incultes prétendants

Viennent profaner votre croix !


Où sont passées les grandes voix

Des tribuns qui plaidaient hier,

Se dressant courageusement

Pour dénoncer sans concession

Tout ce qui heurtait la raison ?

Y aurait-il des Clemenceau,

Anatole France ou Jaurès,

Pour reprendre ce fier flambeau,

Se faisant le puissant écho

De ce qui nous choque et nous blesse ?

Il faut que les nations qui méritent ce nom

Agissent sans tarder contre cette oppression ;

Que cesse ce chantage infâme,

Que soient libérés ces otages

Qui croupissent dans des prisons,

Sans droits ni considération,

Et que vos terres ancestrales

Soient restituées pour de bon.


* Traduction du titre en arménien

** Spécificité de l’art arménien, le khatchkar, (en arménien խաչքար, « pierre à croix ») est une stèle sculptée de forme arquée ou rectangulaire très travaillée.

Ces œuvres monumentales, mesurant généralement d’1,5 à 2 m de hauteur, de 0,5 à 1,5 m de largeur et de 10 à 30 cm d’épaisseur, sont sculptées d’une ou de plusieurs croix accompagnées d’un décor ornemental très raffiné.

*** fidayin, fedayin ou fédaïs. Résistants arméniens :

Civils volontaires, menant une lutte armée à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle en réaction aux massacres de masse de la population arménienne et aux pillages de leurs villages par des criminels, des forces tribales kurdes et des gardes hamidiennes, pendant le règne d’Abdülhamid II.

Rendez-vous près de Komitas

Rendez-vous près de Komitas,
Sur l’allée verte aux pâquerettes,
Non loin des arbres, des oiseaux,
De la Seine et de ses bateaux ;
 
Une scène presque champêtre,
Avec ses branches de lilas,
Et les fleurs déposées en gerbes
Pour cet anniversaire-là.
 
Des marronniers roses et blancs,
Un monument intimidant*
Où l’un des témoins de ce temps,
Visage grave et cœur brisé,
 
Porte le souvenir glaçant
D’une extrême inhumanité
Que nul ne pourrait endurer
Sans d’irréversibles séquelles.
 
Ce grand homme debout qui marche,
La tête auréolée de ciel,
Guide son peuple supplicié
Vers la lumière de son Père.
La voyez-vous au loin briller ?



* Mémorial du génocide des Arméniens, cette statue de bronze, haute
de six mètres avec son socle, représente le révérend père
Komitas, compositeur et théologien, déporté en 1915.