Cosmonaute

La revoilà qui déambule
Hors de la vie et hors du temps,
Tel un fantôme somnambule,
Absente même à son présent.

On la surprend de temps en temps
Accroupie entre deux voitures,
Elle erre sans raison ni but
Engoncée dans la carapace
D’un indissociable anorak
Dont le sillage nous rebute.

Sous la neige ou en plein cagnard,
Emmitouflée sous sa capuche
Derrière les verres opaques
De ses lunettes qui lui cachent
En grande partie la figure,

Le visage impassible
La bouche inexpressive,
Perdue dans une ville
Où elle ne compte pas,
Au cœur d’une existence
Qui ne l’épargne pas,
Elle arpente à pas lents
Notre arrondissement.

Quel est son âge ou son nom ?
Hermétique telle une huître,
Enfermée dans son mutisme
Elle ne laisse pas d’indice,
Mais parfois perd la raison.

Une fille, qui l’évoquait,
L’a appelée « Cosmonaute »,
Tant elle semblait protégée
Par cette combinaison
Adaptée à la survie
En lieux inhospitaliers.

C’est ce surnom qu’il me reste
Tandis que je pense à elle,
Ainsi qu’à toutes les autres
Qui vivent en permanence
Un terrible état d’urgence
Et qui bien souvent se taisent ;

Celles qui luttent âprement,
Pour se nourrir, se laver,
Pour se vêtir, se soigner,
Dormir en sécurité,
Et qui doivent se terrer
Pour échapper aux dangers
De la nuit et de l’hiver,

Celles qui voudraient cacher
L’inavouable calvaire,
Tâchant de dissimuler
Leur furtive silhouette
Dans une foule anonyme,

Méritent bien notre estime
Et cette main que l’on tend
Pour les aider si possible
Par des gestes même infimes
À sortir de cet abîme
Où elles se trouvent à présent.

Ta peine

– À ma mère –

Je voulais alléger ta peine,

Adoucir un peu ton chagrin,

Être là pour t’accompagner

Quand retentirait le mot « fin » ;

Mais tu es seule à affronter

L’abîme absolu de l’absence

Toute seule avec ta souffrance

Dans un douloureux tête-à-tête,

Le dernier permis sur la Terre

Dans ce corps et pour cette vie,

Ultime et poignante entrevue,

Avant le saut dans l’infini

Que nous ferons l’instant venu.

C’est le moment de démêler

Les déceptions et les rancœurs

Que l’on porte comme une croix

Qui saigne au plus profond de soi ;

S’alléger la tête et le cœur,

Renoncer à toutes ses peurs,

Remettre à zéro les compteurs

Pour être en paix avec soi-même

Et ceux qui nous ont élevé

Pendant une vie tout entière,

Mais qu’il faut laisser s’en aller

Quand la dernière heure a sonné

Malgré la peine et les regrets

Qui ressurgissent sans arrêt,

Ce terrassant vide intérieur

Qui nous accable désormais,

Nous ayant laminé le cœur

Tel un immense mascaret

Déferlant sur notre existence

Où l’on doit pourtant se pencher

Pour protéger ce qui a fait

L’adulte né de cette enfance

Afin d’en comprendre l’essence

Et toute la fragilité,

Pour en préserver les beautés,

Puisque la vie est une chance

Et que ce temps nous est donné.


26 décembre 2010 / 20 juillet 2023

La peste brune

Je la sens là, tapie dans l’ombre
À chaque instant, chaque seconde
Attendant le moment propice
Où ses misérables complices
Lui aménageront le monde.

Je la sens froide et implacable,
Chargée de haine, puante et flasque.
Ne croyez pas que j’affabule,
Dissimulant ses tentacules
Elle est bien là, la bête immonde ;

Surgie avant que l’on y pense,
Multipliant les apparences,
Prête même à prendre des risques
Afin de mieux brouiller les pistes
Quitte à laisser tomber le masque
Dès qu’elle se croit invulnérable.

Leurre

Croyaient-ils vraiment
En une guerre éclair ?
Croyaient-ils qu’il faudrait
Un seul jour pour la faire ?
Croyaient-ils que Saddam
Était assez cinglé
Pour laisser tous ses œufs
Dans un même panier ?

Quel triomphalisme
Par trop prématuré,
Quelle naïveté
De la part d’un pays
Qui se croit détenteur
Des plus nobles valeurs
Et se veut justicier…
Dans un monde où la paix
Est sans cesse bradée
Au profit d’intérêts
Plus ou moins justifiés.

Mais prend-on bien en compte
L’ensemble des données ?
A-t-on tout oublié
Des inégalités
que nos propres excès
Ont pu favoriser ?!

Si l’Amérique croit
Quelle sortira grandie
De ce triste conflit
Où l’immaturité
Se heurte à la bêtise…
Les semaines à venir
Risquent de se charger
De la faire déchanter.

Je garde la hantise
De cette cruauté
Qui va se réveiller…

C’est la guerre

C’est la guerre mon amour
Et nous n’y pouvons rien.
Le temps suspend son vol ;
Les obus jouent le rôle
Moderne du « destin »
Et la vie suit son cours
Comme si de rien n’était,
Mais j’ai le cœur bien lourd.

Des morts, déjà des morts…
Je devrais dire : »Encore » !

Les jeux ne sont pas faits
Mais les cercueils sont prêts ;
Ironique insolence
De cette société
Qui avait dit vouloir
Stopper la surenchère
Des armes nucléaires

Et réduire l’arsenal
Ultra sophistiqué
Qui déjà existait,
Pour qu’un conflit mondial
Ne puisse s’engager
Ou soit moins meurtrier
Que les guerres passées.

Mais les vies humaines
Ne valent pas cher
Face aux intérêts
De plusieurs pays…

On avait dit : « Jamais,
Jamais plus de souffrances
Ni de vies gaspillées ! »
Mais aujourd’hui la paix
A perdu la bataille…
Des larmes ensanglantées
Suivront ses funérailles.