Vous qui avez porté neuf lunes cet enfant,
Vous qui avez peut-être souffert en accouchant
D’un superbe bébé qui faisait la fierté
De sa grande lignée, éprouvée si souvent,
Vous qui avez nourri de votre lait l’enfant,
Vous qui l’avez veillé chaque nuit patiemment,
Vous qui l’avez bercé dans vos bras doucement,
Charmée par les sourires de ses yeux innocents,
Vous qui l’avez guidé lors de ses premiers pas
Vous qui avez compris ses « comment », ses « pourquoi »,
Vous qui avez perçu ses tout premiers émois
Et l’avez régalé de vos bons petits plats,
Vous qui avez œuvré à son éducation,
Vous qui avez suivi sa belle évolution,
Vous qui l’avez toujours soutenu ardemment
Et lui avez transmis ce qui comptait vraiment,
Vous qui avez frémi en voyant que la guerre
Surgissait aux frontières de votre cher pays,
Et l’avez vu grandir pour devenir cet être
Capable de choisir en son âme et conscience
Et d’assumer les choix qu’il a faits pour sa vie,
Vous qui, dans cette crainte à l’estime mêlée
Devant ce jeune adulte qui ne se soumet pas,
Avez pu l’embrasser une dernière fois
Juste avant qu’il ne quitte les lieux de son enfance,
Engagé volontaire pour garder sa patrie,
Qu’il vienne d’Arménie ou de sa diaspora,
À vous qui restez là avec les yeux ouverts
Et le cœur en suspens, de jour comme de nuit,
À vous qui apprendrez peut-être la nouvelle
Qu’il est mort sur le front et ne reviendra pas ;
J’aimerais tellement vous serrer dans mes bras,
Vous réchauffer le cœur, pour épancher vos larmes…
Je voudrais vous écrire que l’on n’oubliera pas
Les garçons et les filles qui sont tombés là-bas,
Repoussant l’agresseur autant qu’il est possible
Avec leur âme fière, avec leur âme digne,
Avec leur enthousiasme, leur courage et leur foi !
Mais qu’il est difficile de regarder la liste
De ces noms qui s’alignent comme autant de cercueils,
Ces noms de jeunes gens, ces noms de jeunes filles,
Ces hommes et ces femmes qui ont donné leur vie
Pour servir leur nation avec gloire et honneur,
Protégeant sans faillir la civilisation
Qui fit d’eux ce qu’ils sont, et que nous partageons,
Nous qui sommes ici, avec pour seules armes
Nos marches, nos discours, nos drapeaux, nos alarmes,
Nous qui sommes unis par les mêmes valeurs…
Qu’attendons-nous enfin pour agir bel et bien ?
Que dira-t-on demain pour justifier nos actes
Si l’on ne soutient pas nos frères de l’Artsakh ?
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Artsakh
Beaucoup n’ont pas vingt ans, mais ils partent pourtant
Défendre les frontières de leur chère patrie.
Ils savent, c’est certain, quel en sera le prix,
Car ils ont pour tout choix ; gagner ou disparaître.
Peuple martyrisé qui pleure ses enfants,
Lui qui en a tant vu depuis des millénaires ;
Purgé de ses savants, ses intellectuels,
Peintres et écrivains, musiciens et poètes,
Prêtres et militaires, ou simples paysans,
Durant ce génocide encore si présent…
Historique berceau de notre chrétienté
Luttant pour protéger sa civilisation,
Sœur aînée de la France aux héros inspirants ;
La lointaine Arménie, amputée de ses terres,
Garde pieusement l’âme de ses ancêtres
Et la foi immuable en leur enseignement.
Mais tandis qu’elle aspire à vivre dans la paix,
Elle ne laissera pas piétiner ses frontières,
Elle ne permettra pas que l’on souille ses terres,
Elle n’acceptera pas que l’on vienne en vainqueur
Bafouer ses valeurs sans les défendre aussi ;
Et pendant que le monde observe et négocie,
Soucieux de ménager ses intérêts futurs,
Ces jeunes qui avaient l’avenir devant eux,
Jeunes gens, jeunes filles, fiers et courageux,
Venus pour protéger de leurs mains leur pays,
Ces hommes et ces femmes sacrifient leur futur
Et, de toute la force que donne leur esprit,
Font face à l’ennemi et luttent sans répit
Afin de préserver notre riche culture.
* Haut-Karabakh
Au chauffeur de la ligne 7
Au chauffeur de la ligne 7,
Ce vendredi vingt et un août,
Qui rendit plaisant le voyage
Par son humour et son bagout ;
À l’homme aux intentions louables,
Attentionné et charitable,
Prônant la solidarité,
L’entraide entre les voyageurs,
Par une attention plus marquée
Envers ses voisins d’à côté,
En professionnel avisé,
Dans une engageante gageure ;
Si soucieux de son prochain,
Sympathique dans ses propos,
Un mot aimable pour chacun ;
En quelques stations de métro,
Rendant leur sourire aux visages,
Donnant de l’âme à ce trajet,
Il détendit toute une rame
De passagers désabusés
Par l’affligeante indifférence
Que l’on rencontre désormais
Dans nos quotidiens gangrenés
D’une sournoise délinquance ;
Recevant par son bon esprit
Une moisson de sympathie,
Des sourires en avalanche,
De jolis bouquets de « mercis »
Et l’immense reconnaissance
D’êtres profondément touchés
Par l’étonnante prévenance
Que cet homme leur témoignait.
Nous n’emporterons rien
– À Monsieur Hovhannès Haroutiounian dont les profondes réflexions m’ont inspiré ce poème –
Pour cette traversée, nous n’emporterons rien
De ce que l’on aimait, il faudra tout laisser ;
Les lettres, les photos, les livres, les tableaux,
Les êtres qui nous touchent, qui nous ont fait vibrer,
Les proches, les amis, qui nous ont entourés,
Les maîtres, les poètes qui nous ont enseignés,
Les enfants que l’on a si fièrement portés,
Aimés sans condition, patiemment élevés ;
Nous n’emporterons rien de ce que l’on aimait.
Nous n’emporterons rien de ce que l’on aimait ;
Les astres de la nuit et des belles journées,
Les parfums enivrants, les fruits mûrs de l’été,
Les animaux, les fleurs, les oiseaux, les poissons,
La chanson de la vie, la danse des saisons,
Les chères mélodies qui jadis nous berçaient,
La musique des siècles dans nos âmes restée,
Le ciel et les nuages changeant à chaque instant,
Qui font que l’on se sent si pleinement vivant ;
Nous n’emporterons rien de ce que l’on aimait,
Il faudra tout laisser.
Nous n’emporterons rien de ce que l’on aimait,
Mais restera de nous, après notre passage,
Ce que l’on a transmis, l’amour qu’on a donné,
Des fleurs de souvenirs, des bouquets d’amitié,
La foi en l’avenir et dans la destinée ;
Nos cœurs que l’on partage jusqu’à l’éternité,
Impalpable héritage de ce que l’on était.
L’adieu à la mère
– À Roza –
Calée dans son fauteuil,
Toujours belle malgré
L’empreinte des années,
Bien que très affaiblie
Par le dernier écueil
De cette maladie
Qui lui brouillait le teint,
D’un geste de la main
Dans le jour qui vacille,
Elle a donné congé
À toute la famille
Pressée à son chevet ;
Les jeunes, les anciens,
Les proches, les cousins
Pieusement rassemblés,
Mais quand son fils aîné
À son tour s’est levé
Pour la laisser en paix,
Elle lui prit la main
Pour mieux le retenir
Dans l’ombre de son sein,
Lui offrant le parfum
Cher à ses souvenirs
D’enfance retrouvés.
Dans le silence dense
Qui régnait dans sa chambre,
Son petit tout près d’elle,
D’une ultime caresse
Elle a posé sa main
Doucement sur son front,
Comme pour lui donner
En plus de sa tendresse,
La bénédiction
De celle qui l’avait
Enfanté vaillamment ;
Sa douceur maternelle
Son regard sur la vie,
Son chant, son énergie,
Son goût pour la lumière
Et pour la poésie.
Puis le fils a veillé sa mère
Avec ferveur, toute la nuit,
Dans l’atmosphère recueillie
De la maisonnée assoupie,
Et cette communion des êtres
A resserré plus fort les liens
Qui unissaient leurs deux esprits
En faisant se joindre leurs mains.
Lors dans un murmure distinct
Doucement sorti de sa bouche,
L’âme légère et apaisée
D’avoir pu mener jusqu’au bout
La mission qui lui incombait,
Elle expira son dernier souffle
Et lâcha prise pour de bon
De la plus sereine façon,
Abandonnant son existence
Sans opposer de résistance ;
Ouvrant l’invisible chemin
Que nous emprunterons demain,
Le corps dissout et le cœur nu
Pour avancer dans l’inconnu,
Vers notre dernière maison.
Ce poème est dédié à Monsieur Hovhannès Haroutiounian qui m’a confié ce souvenir.