Un tel acharnement

– Le grand cimetière de Djoulfa (en arménien : Ջուղայի գերեզման ) était l’un des plus prestigieux sites du Nakhitchevan, territoire arménien occupé par l’Azerbaïdjan. Il était constitué de 10 000 stèles funéraires, khatchkars (pierres à croix) typiques de l’art arménien, finement taillées et sculptées, dont certaines dataient du VIe siècle.

Il fut complètement rasé, aux yeux de tous et sur une période de 7 ans, pour servir de champ de tir aux militaires azéris.–

Un tel acharnement à nier l’évidence,

Refusant l’existence des premiers habitants,

Relève assurément d’un abus de puissance

Et d’un négationnisme cynique et galopant

Un tel acharnement à nier la présence

D’un peuple ayant laissé d’abondants témoignages

De sa riche culture à l’inspirant sillage

Est indigne de ceux la contestant pourtant

Effacer toute trace des anciens occupants

Détruisant une à une chaque preuve éclatante

Pour mieux s’approprier les lieux illégitimes

Que l’on veut posséder jusqu’à leur origine

Effacer toute trace, quitte à exterminer

Bien des témoins gênants de ce crime avéré

Afin de s’ériger en chef omnipotent

De foules perfusées aux discours mensongers

Effacer toute trace de cette identité,

Qui partout refleurit et vous regarde en face ;

Se forgeant une armure d’insensibilité,

Se pensant protégé sous cette carapace

Effacer toute trace, en toute impunité,

À la barbe et au nez des nations aveuglées

Soucieuses avant tout de pouvoir ménager

Leurs intérêts présents et futurs alliés



« Une liste incomplète des monuments arméniens du Nakhitchévan, établie par Argam Ayvazian, un érudit arménien, fait état de 310 monuments dédiés au culte (monastères, églises, chapelles), dont 221 ont été détruits entre le XIXe siècle et la seconde guerre mondiale ; 41 châteaux et forteresses ; 26 ponts ; 86 pôles d’habitat rural et urbain ; 89 cimetières comptant environ 23 000 pierres tombales ; 5480 stèles à croix, ainsi que 115 divers autres monuments arméniens. Ce patrimoine couvre une période allant du Ve au XXe siècle.

Lorsqu’Argam Ayvazian entreprend ses voyages d’exploration, il ne reste plus que 89 monuments chrétiens, encore debout ou en ruines, tous désaffectés. Il a pu en photographier 78. Ces monuments ont continué de faire l’objet de dégradations jusqu’à leur destruction complète et planifiée, pratiquée à l’explosif, au bulldozer ou à la masse par l’Azerbaïdjan entre 1998 et 2006.

Il ne reste aujourd’hui plus aucune trace de la présence arménienne au Nakhitchévan. »

Bibliothèque numérique de Lyon

Où sont donc passées les femmes

Où sont donc passées les femmes

Et les fillettes afghanes

Qui brillent par leur absence,

Prisonnières du silence

Au sein d’une société

Où règne en maître le mâle ;

Sans instruction ni métier

À librement exercer

Condamnées sans jugement

À l’invisibilité

Par la loi des talibans

Si durement observée.

Plus de danse, de musique,

De loisirs ni de sorties ;

Privées de vie et d’histoire ;

Plus de droits, mais des devoirs.

L’opposition est fatale ;

La punition sans appel

Leur coupe à jamais les ailes,

Et s’acharnant de plus belle

Sur ces tristes corps de femmes

Pensant en détruire l’âme,

Ils lapident et saccagent

L’enveloppe corporelle

Jetée en pâture aux lâches.

Mais quand la charge est trop lourde,

Quand les rêves sont plombés,

Quand nulle fenêtre n’ouvre

Sur l’avenir espéré

Quand l’espoir est trop infime

Quand la vie n’a plus d’attrait,

D’innocentes jeunes filles

Et femmes trop accablées

De détresse se suppriment,

Reprenant leur liberté.

Où est passée la joie

– À ma sœur –

Où est passée la joie ?

Elle pleure à Gaza, dans les villes d’Ukraine,

Sur la terre arménienne et celle d’Israël,

En Birmanie, Congo, Éthiopie et Sahel,

Ou tant d’autres endroits que l’on évoque ou pas

Où est passée la joie ?

Elle survit partout où l’être se libère ;

Là où l’homme se lève au milieu de ses frères

Et renaît dans le choix de refuser de taire,

Pour ne plus laisser faire, ce qui ne nous plaît pas

Contrastes

Le soleil est là, brûlant sur ma peau

Quand d’autres croupissent dans des geôles sombres

Le printemps est là, qui chante à nouveau

Quand des vies entières sont plongées dans l’ombre

Nos journées s’écoulent, nous donnant le change,

Pris dans le courant des menus tracas

Les années s’écoulent sans que rien ne change

Pour tant d’innocents privés de leurs droits

Pour Anna

– En hommage à Anna Akhmatova, grande poétesse russe de la 1ère moitié du XXème siècle –


J’ai entendu ta voix que je n’attendais pas ;

Parvenue jusqu’à moi mais venant de si loin,

En traçant son chemin par des sentiers étroits

Des courants de la Seine aux flots de la Neva

J’écoute, cœur serré, dans ce souffle meurtri,

L’écho des années sombres de ta chère Russie ;

Les geôles de léjov, le cliquetis des clefs,

La file interminable des femmes affligées

Aux ombres faméliques ; les épaules qui ploient

Sous le terrible poids des âmes sacrifiées

Le mur rouge et les cris d’une vieille qui souffre

Les lèvres bleues de froid d’une attente infinie ;

Tous ces êtres détruits, prisonniers de leur vie,

Le funeste passage du noir fourgon qui luit

En sillonnant la ville, zélé et endurci ;

Le blanc manteau neigeux couvrant la Sibérie

D’une chape glacée qui étouffe tout bruit

Existe-t-il encore un peu de poésie

Quand tout ce que l’on aime est nié et battu ?

Même en ces temps terribles où tant de voix sont tues,

La poésie est là, lumière dans la nuit.


En référence au bouleversant recueil d’Anna Akhmatova ; Requiem.

Écrits entre 1935 et 1940, pendant les années de terreur des purges staliniennes, les poèmes qui le composent furent appris par cœur et transmis oralement par des proches de la poétesse pour échapper à une implacable censure, jusqu’à ce que le vent de l’histoire ait tourné…

Il ne fut publié en russe qu’en 1963, à Munich.