Où sont donc passées les femmes

Où sont donc passées les femmes

Et les fillettes afghanes

Qui brillent par leur absence,

Prisonnières du silence

Au sein d’une société

Où règne en maître le mâle ;

Sans instruction ni métier

À librement exercer

Condamnées sans jugement

À l’invisibilité

Par la loi des talibans

Si durement observée.

Plus de danse, de musique,

De loisirs ni de sorties ;

Privées de vie et d’histoire ;

Plus de droits, mais des devoirs.

L’opposition est fatale ;

La punition sans appel

Leur coupe à jamais les ailes,

Et s’acharnant de plus belle

Sur ces tristes corps de femmes

Pensant en détruire l’âme,

Ils lapident et saccagent

L’enveloppe corporelle

Jetée en pâture aux lâches.

Mais quand la charge est trop lourde,

Quand les rêves sont plombés,

Quand nulle fenêtre n’ouvre

Sur l’avenir espéré

Quand l’espoir est trop infime

Quand la vie n’a plus d’attrait,

D’innocentes jeunes filles

Et femmes trop accablées

De détresse se suppriment,

Reprenant leur liberté.

Où est passée la joie

– À ma sœur –

Où est passée la joie ?

Elle pleure à Gaza, dans les villes d’Ukraine,

Sur la terre arménienne et celle d’Israël,

En Birmanie, Congo, Éthiopie et Sahel,

Ou tant d’autres endroits que l’on évoque ou pas

Où est passée la joie ?

Elle survit partout où l’être se libère ;

Là où l’homme se lève au milieu de ses frères

Et renaît dans le choix de refuser de taire,

Pour ne plus laisser faire, ce qui ne nous plaît pas

Contrastes

Le soleil est là, brûlant sur ma peau

Quand d’autres croupissent dans des geôles sombres

Le printemps est là, qui chante à nouveau

Quand des vies entières sont plongées dans l’ombre

Nos journées s’écoulent, nous donnant le change,

Pris dans le courant des menus tracas

Les années s’écoulent sans que rien ne change

Pour tant d’innocents privés de leurs droits

Pour Anna

– En hommage à Anna Akhmatova, grande poétesse russe de la 1ère moitié du XXème siècle –


J’ai entendu ta voix que je n’attendais pas ;

Parvenue jusqu’à moi mais venant de si loin,

En traçant son chemin par des sentiers étroits

Des courants de la Seine aux flots de la Neva

J’écoute, cœur serré, dans ce souffle meurtri,

L’écho des années sombres de ta chère Russie ;

Les geôles de léjov, le cliquetis des clefs,

La file interminable des femmes affligées

Aux ombres faméliques ; les épaules qui ploient

Sous le terrible poids des âmes sacrifiées

Le mur rouge et les cris d’une vieille qui souffre

Les lèvres bleues de froid d’une attente infinie ;

Tous ces êtres détruits, prisonniers de leur vie,

Le funeste passage du noir fourgon qui luit

En sillonnant la ville, zélé et endurci ;

Le blanc manteau neigeux couvrant la Sibérie

D’une chape glacée qui étouffe tout bruit

Existe-t-il encore un peu de poésie

Quand tout ce que l’on aime est nié et battu ?

Même en ces temps terribles où tant de voix sont tues,

La poésie est là, lumière dans la nuit.


En référence au bouleversant recueil d’Anna Akhmatova ; Requiem.

Écrits entre 1935 et 1940, pendant les années de terreur des purges staliniennes, les poèmes qui le composent furent appris par cœur et transmis oralement par des proches de la poétesse pour échapper à une implacable censure, jusqu’à ce que le vent de l’histoire ait tourné…

Il ne fut publié en russe qu’en 1963, à Munich.

Héritage ancestral


Il n’aura pas fallu attendre très longtemps

Pour voir le résultat, à raison redouté,

Des sombres intentions d’indignes occupants

D’espaces habités par l’esprit de ces êtres


Si souvent distingués au cours des millénaires

Qui se sont succédé sur la terre arménienne,

À la géographie âprement convoitée,

Maintes fois amputée d’une part d’elle-même.


Tous ceux qui de leurs mains, leur art et leurs idées,

Ces prêtres, ces savants, ces hommes émérites,

Ont fait de leur pays ce haut lieu du sacré

Inspirant avec eux bien des cités antiques ;

Des arbres généreux symbolisant la vie

Aux roues d’éternité qui partout se déclinent ;

La richesse d’un peuple sculptée dans chaque église,

Chaque pierre tombale, chaque fontaine vive,

Dans chaque herbe poussée, sa danse, sa musique,

Des rouges grenadiers jusqu’aux sarments de vigne,

Des forêts émeraude aux cascades limpides

Jusqu’aux lacs reflétant ces monts emblématiques.

Qui protège à présent tous ces trésors classés,

Ces sites reconnus comme étant les beaux fruits

Du précieux héritage de notre humanité

Que nous voulons transmettre à nos petits-enfants ?

Car les fières statues des héros vénérés,

Descendues de leur socle, sont violemment brisées ;

Bustes et bâtiments rageusement détruits

Et les croix arrachées du toit des monuments

Sont la preuve accablante de cette barbarie.

Seules à résider en ces lieux profanés,

Les âmes des défunts veillent la terre aimée,

Des gorges aux sommets, en sentes escarpées,

Et leur souffle caresse la cime des cyprès,

En attendant que viennent des temps plus éclairés.