A celles et ceux qui ne peuvent pas écrire

Je pense à celles et ceux qui ne peuvent écrire
Car ils sont à la peine et craignent de mourir,
Parce que chaque jour est un nouveau défi,
Qu’ils souffrent dans leur chair et luttent sans merci.

Je pense à celles et ceux qui ne peuvent écrire
Tandis que leur esprit s’éclipse ou se déchire,
Parce que cela même est inenvisageable,
Car ils sont hors du temps, sans feuille ni stylo,
Parce que leur cerveau est pris dans un étau
Et que s’en évader est inimaginable.

Je pense à celles et ceux qui ne peuvent écrire
Parce que c’est la guerre, qu’ils connaissent le pire,
Ou bien laissés pour compte, dépourvus d’avenir,
Obligés de passer en mode de survie
Dans une société dite démocratique ;
Quand les besoins primaires prennent toute la place
Qui reste dans la tête, entre la peur panique
D’une agression physique, la recherche d’un gîte,
D’un couvert et d’un lit où l’on puisse dormir…

Je pense à celles et ceux qui ne peuvent inscrire
Leurs phrases ou leurs rimes sur le moindre cahier,
Parce que privés de mots ou ne sachant écrire
Ils se trouvent coupés de cette activité,
Étrangers malgré eux dans leur propre pays…

Et moi qui m’apitoie sur mes petits émois,
Le bonheur et la joie, la beauté qui s’invite,
Les oiseaux, le soleil et la douceur de vivre,
J’ai le cœur qui se serre en évoquant cela.

Grain de sable au tribunal

Briques et béton
Bois et métal
Et des bavards en toge noire
Avec une touche d’hermine.

Brouhaha et conciliabules
Dans les couloirs, les vestibules ;
Certains s’asseoient, d’autres se lèvent,
Parfois hésitent, vont et viennent
Ou se résignent sur un banc
La mine grave et le teint blanc.

Les dossiers s’empilent au greffe
De la Chambre correctionnelle :
Histoires emmêlées
Classées dans des chemises
Aux couleurs variées,
Unique fantaisie.
Humour et poésie
Ne sont guère de mise
Dans ce lieu si sérieux,
Où le trac nous saisit.

Les magistrats font leur entrée,
Tout se prépare et s’organise.
Les pièces et les conclusions
Changent de main pour qu’aboutissent
Les décisions de la justice,
Dans le respect de l’instruction.

C’est alors que le grain de sable
Soudain se prend dans les rouages
De la machine bien huilée :
Avec son manteau, son bonnet,
Resté debout près de l’entrée,
Un homme attend dans le prétoire
Les yeux fermés, coupé du monde,
Comme en méditation profonde…

On interpelle à haute voix
Ce visiteur un peu à part.
S’ensuit un interrogatoire :
Qui est-il et que fait-il là ?
Vient-il témoigner à la barre ?
Est-il aidé d’un avocat ?
S’est-il trompé de tribunal ?

Il s’avance, en plein désarroi,
Sa détresse est vraiment palpable.
Puis s’adressant aux magistrats
Il commence sa narration ;
S’insurge contre la justice ,
Et demande réparation,
En dénonçant l’inacceptable
Enchaînement de préjudices
À l’impossible échappatoire,
Qui le conduit au précipice…
Est-ce déjà le purgatoire ?

Un instant décontenancée
La Cour demande à ce qu’il sorte.
N’ayant pas tous les éléments
Pouvant instruire son affaire,
Il doit attendre qu’elle reporte,
Sans s’obstiner, son jugement.
Mais il refuse de se taire
Car cela serait sans compter
Cette belle opportunité
D’exposer en pleine lumière
Et devant un tel auditoire
Sa lente descente aux enfers…

Il nous livre la tragédie
D’un accident, quatre ans avant,
Le plaçant au rang de victime
D’un chauffard qui, prenant la fuite,
Le laissa blessé et gisant…
Il énumère les galères
Qu’il a subies et traversées,
Et tout son être se rebelle ;

Une opération mal passée
Dont il porte encor les séquelles
Et ne digère pas l’offense ;
Toutes ces années de souffrance,
De formalités aberrantes
D’une opacité confondante
Qui ajoutèrent leurs barrières,
Peu à peu se muent en colère.
Travail perdu, couple brisé,
Rêves déçus, destin gâché…
Un soutien jamais arrivé.

On redemande qu’il sorte.
Une avocate l’exhorte
À la suivre pour tenter
De régler ce casse-tête,
Mais il refuse tout net
De suivre la sommation.
Alors quelques policiers
Viennent le raccompagner
À l’extérieur de la pièce,
L’entraînant sans le brusquer
Dans l’intimidant sillage
Que leur octroie leur fonction.

Qui sait comment il se nomme
Et ce qu’il fera demain ?
Qu’adviendra-t-il de cet homme
Dont j’ai croisé le chemin
Sans avoir d’autre pouvoir
Que celui de relater
Et partager son histoire ?

Peu à peu, en chuchotant,
Les parties se reconcertent,
Puis tout naturellement
Les avocats entrent en scène
Et les audiences reprennent.

Semez des graines !

Semez des graines, jour après jour,
Semez des graines aux alentours,
Arrosez-les avec amour
Laissez-les croître au fil des jours ;

Graines de paix, graines d’espoir,
Bonnes graines de nos terroirs,
Graines de vie, graines d’amour,
Graines de douceur, de bonté
Graines de candeur, d’amitié,
Graines de bien-être et de joie
Graines de sensibilité
Graines de solidarité,
D’humilité, de bienveillance
De sérénité, de confiance,
Graines de respect, de partage
Graines de pardon, de courage,
Graines de rêve et de beauté,
D’effort et de simplicité,
D’énergie et de liberté,
De lumière et de vérité…

Et lors votre simple existence
Si modeste et insignifiante,
Aussi ordinaire soit-elle,
Ne sera pas privée de sens.

Que sait-on

Que sait-on des gens que l’on croise,
Les pressés, les « hauts en couleur »,
Les malades, les maladroits,
Les mal élevés, les courtois,
Les indifférents, les rêveurs,

Ceux qui prient ou ceux qui vous toisent,
Sourient ou vous cherchent des noises,
Ceux qui pleurent ou chantent à tue-tête,
Ceux qui mendient ou font la tête,

Ceux qui ont des tics ou des tocs
Ceux qui friment ou ceux qui provoquent,
Les fatigués, les beaux parleurs,
Les serviables, les grands penseurs… ?

Sont-ils poètes ou musiciens,
Enseignants, informaticiens,
Mécaniciens ou commerçants,
Agents comptables ou étudiants ?

Sont-ils écrivains ou danseurs
Maçons, techniciens ou coiffeurs,
Peintres, fleuristes ou comédiens,
Stylistes, avocats, médecins ?

Sont-ils serruriers, éboueurs,
Caissiers, jardiniers ou masseurs,
Puéricultrices ou designers,
Journalistes ou restaurateurs,
Professionnels ou amateurs,
Retraités, sans papiers, chômeurs… ?

Sont-ils victimes ou harceleurs,
Honnêtes gens ou resquilleurs,
Bienveillants ou baratineurs,
Amoureux ou pleins de rancœur ?

Sont-ils joyeux ou déprimés,
Ou pleurent-ils un être aimé ?
Sont-ils heureux, tout simplement,
Ou courent-ils, désenchantés
Pris dans la folie de ce temps ?

Quelques indices tout au plus
Nous mettent à l’oreille la puce
Mais cependant l’on n’en sait rien ;
On les côtoie, c’est presque rien,

Le temps d’un trajet de métro
Ou de quelques stations de bus,
Dans un couloir, un magasin,
Sur un trottoir ou dans un train
Et l’on se sépare aussitôt,
Cela ne va guère plus loin.

Il semble que ces trajectoires
Se rejoignent bien rarement,
Mais parfois tous les ingrédients
Sont réunis pour que, magie,
S’accomplisse cette alchimie
Due aux aléas de la vie.

Censure

Si la censure existe pour les fesses, les cuisses,
Les tétons, le pubis ; depuis quand donc les pieds
Doivent-ils se cacher, car jugés impudiques ?
 
Qui peut bien s’offenser que l’on puisse laisser
Des anges aux pieds nus s’élever dans les nues
D’une église chrétienne, et que quelques fidèles
Soient à ce point choqués par la vision d’un pied
Dépassant d’une robe pour ainsi demander
Qu’ils soient dissimulés, m’indigne et m’interroge.
 
Quelle est cette hérésie ? Vers quel obscurantisme
Peu à peu glisse-t-on, à vouloir censurer
Sans aucune raison des fresques liturgiques ?
 
Les œuvres artistiques accompagnent les hommes
Depuis la nuit des temps dans la quête mouvante
De leur identité. Mais que l’on me pardonne,
Je n’approuve pas ceux qui fermeront les yeux
Sur des agissements indignes de ce temps
 
Et participeront à ce triste engrenage,
Cédant à ce chantage qui s’attache au détail
De ces pieds que l’on voit, au lieu de se pencher
Sur ce qui vaut la peine d’être pointé du doigt,
 
Recherchant en eux-mêmes comment quitter l’enfer
Que l’on crée ici-bas, pour suivre la lumière
Qui nous guide et élève vers de plus hautes sphères,
Loin d’inféconds débats.