Tout détruire

– À Monsieur Jivan Avetisyan –


« Les Turcs ont passé là. Tout est ruine et deuil. »

Victor Hugo, Les Orientales, 1828.


Saccager, encore et toujours, détruire ce qui nous entoure,

Tout ce qui n’a pas lieu d’être s’il ne provient pas de nous,

Tout ce qui nous dépasse, ce qui laisse une trace,

Et nous renvoie soudain à la sourde menace

De notre indignité au grand jour révélée.

Poursuivre avec méthode le projet planifié,

Objectif avoué aux moyens assumés

D’un monde à notre image, faisant fi du passé.

Ne laisser que des ruines où hier s’élevait

La noble architecture célébrant le sacré,

L’inspirante splendeur d’entrelacs ciselés

Sur les pierres sculptées d’antiques cimetières,

Champs de khatchkars dressés vers la gloire céleste ;

Symboles authentiques, toujours revisités,

Qui fondent un pays profondément ancré.

Broyant l’un après l’autre chaque éloquent vestige,

Ne garder nulle pierre qui puisse témoigner

D’un patrimoine riche au glorieux prestige,

Façonné par l’histoire à travers les années.

Puis, le crime accompli, dans l’espace vidé

De son souffle vital, comme si de rien n’était,

Redistribuant les cartes de ce jeu aux dés pipés

Dans l’hypocrite échiquier d’un monde âpre qui perd pied,

Niant l’amour du prochain, privé du moindre respect

Envers le génie humain et sa grandeur révélée,

Venir et se proclamer légitime possesseur

D’un territoire occupé par de vils conspirateurs

Dont les terres nous reviennent, sans contestation possible,

Les preuves qui existaient, chaque fois prises pour cible,

Ayant été pilonnées sans que quiconque intervienne.

Prison corporelle

– À Mathilde –

Souffrance et maladie,

L’opération et puis

L’enchaînement maudit.

Le cours du temps s’arrête

Le cerveau à la peine

Vit cette tragédie.

Dans l’étroit cagibi

De l’enveloppe humaine,

Au silence réduit,

L’être que l’on séquestre,

Ravale sa colère,

Muré dans son dépit,

Endurant l’impensable,

Mais luttant sans répit.

Ses yeux parlent pour lui.

Le Roi s’amuse

– À Léopold –

– À tous les chanteurs, musiciens, professionnels de chacun

des métiers nécessaires à la réalisation d’une telle œuvre ;

pour ce Rigoletto de Verdi mis en scène par Claus Guth

et joué à l’Opéra Bastille : Bravo ! –


Le Roi s’amuse, à l’opéra ;

Cela fait résonner en soi

D’autres histoires d’autres temps

Où le comportement des « grands »

De ce monde et bien des puissants,

N’est guère à la fin différent

Toujours des cours, des intrigants,

Des luttes de classe et des clans,

Des passe-droits, des entre-soi,

Où l’on s’arrange avec les lois

Cependant que le fou du roi

Flattant les uns, raillant les autres,

Vient amuser la galerie,

Maudit par ceux dont il se gausse,

N’éprouvant aucune empathie

Pour les êtres que l’on trahit,

Pour l’innocence que l’on fauche,

Si l’on sauve l’enfant chérie

De cette funeste débauche

Mais la médaille a son revers

Et la vengeance un goût amer

Quand, pour punir ce libertin

D’avoir deshonoré son bien,

On traite avec un assassin

Pensant balayer ses tourments,

Ourdissant un crime de sang

Qui se retourne contre soi,

Quand l’être, dans ces filets pris,

Préfère sacrifier sa vie

Pour que son amour innocent

Reste pur en son cœur vaillant,

Faisant disparaître l’offense

Aux yeux de ce père en souffrance

Hanté par de poignants remords

qui le suivront jusqu’à la mort

Cette petite flamme

– À H. –

Cette petite flamme qui brille dans notre âme,

Si souvent étouffée au cours de l’existence,

Comment la préserver sans même que l’on sache

Qu’il faut l’alimenter pour la garder vivante ?

Cette petite flamme qui couve dans notre âme,

Si souvent ignorée au fil de l’existence,

Il suffit quelquefois qu’un être différent,

D’un autre caractère, par chance ressentant

La vie à sa manière, pose un nouveau regard

Sur ce que l’on traverse en toute inconscience,

Attisant cette flamme sommeillant en notre âme,

Pour qu’un matin s’éclaire d’inédite manière

Le chemin écarté où la pensée s’égare,

Nous sortant de l’ornière où nous étions tombé,

En éclatant la bulle que l’on avait créée

Pour mieux se protéger d’immanquables souffrances.

Cette petite flamme qui veille sur notre âme,

Attachée à notre être avant notre naissance,

Qui soudain se redresse pour briller de plus belle

Afin de nous permettre d’embrasser l’existence,

Envisageant la vie sous un autre éclairage

Et vibrant à la joie d’en découvrir le sens,

Pour transmettre sans cesse le précieux héritage

Accompagnant chacun tout au long du voyage,

Bagage essentiel qui inspire et engage ;

À force de ferveur et de ténacité,

D’un élan créateur, d’efforts et de courage,

Partageant humblement ce qui nous est donné

En élevant la flamme qui brille dans notre âme

Trésors de synchronicité

– À ma sœur –

Pouvoir des mots, de la pensée,

Trésors de synchronicité,

Rencontres qui vont et qui viennent

Nous sourient ou nous interpellent,

Passage à gué, ponts suspendus,

Sous-terrains, chemins de traverse

Tout est là pour que l’on progresse

Si l’on franchit de tout son être

Les fossés, les haies, les barrières

Qui limitent nos mouvements,

Bâillonnant nos tempéraments ;

Tout est là pour que l’on s’élève

Si l’on aime scruter le ciel,

Que l’on en pressent l’infini,

Si l’on s’abandonne à la vie

Pour cheminer vers la lumière