Un arbre

C’est un arbre si tranquille
Silencieux et immobile,
Majestueux survivant
De la race des géants
Déjà présents sur la Terre
Si longtemps avant notre ère ;

C’est un arbre sans famille
Mais un amas de brindilles,
Vestige d’un ancien nid,
Atteste qu’il fut un temps
Où piaillaient des oisillons
Pour lui tenir compagnie ;
Mais même les papillons
Ne viennent plus jusqu’ici.

C’est un arbre qui s’efforce
De tenir bon malgré tout
En restant toujours debout,
Et lorsque sa silhouette
M’apparaît à la fenêtre
Je puise un peu de sa force.

C’est un arbre qui nous lie
Aux racines de la vie ;
Après cet hiver très sage
Il a ouvert ses bourgeons
Et des milliers de chatons
Agrémentent ses branchages.

L’homme et le scorpion

Un été, voilà vingt ans,
Sur un autre continent,
Cinq amis sont réunis
Avec pour toute folie
L’envie de vouloir passer
Un moment privilégié
Dans la montagne escarpée.
 
Quand se fait sentir la faim,
Le barbecue tombe à point
Pour y rôtir le lapin,
Les oiseaux pris le matin
Par le chasseur de la bande.
Attiré par ce fumet,
Un scorpion jaune s’avance.
 
S’approchant trop près du groupe,
Un pied lui barre la route.
Il s’en prend à la chaussure,
L’attaquant avec vaillance,
Voulant gagner à coup sûr
Ce combat perdu d’avance.
 
Voyant qu’il ne cède pas,
L’homme afin de le dompter,
Se résout à l’asperger
D’une giclée de vodka.
L’arthropode ainsi douché
S’efforce de le piquer
Mais, ivre, n’y parvient pas.
 
Il titube un peu sonné,
Cesse un moment de bouger ;
Mais quand l’effet de l’alcool
Finit par se dissiper
Il reprend tous ses esprits,
Redoublant d’hostilité,
Le dard à nouveau dressé.
 
Alors pour avoir la paix
Jusqu’à la fin du repas,
Renouvelant l’expérience,
L’homme verse une rasade
D’eau-de-vie sur l’animal
Pour plus qu’il ne se hasarde
Près des braises rougeoyantes.
 
Aussi faut-il se garder
Des promeneurs alcooliques,
Même si l’on est doté
D’un redoutable poison,
Sous peine de se trouver
Dans un coma éthylique
Et de perdre la raison.


Ce poème est dédié à Monsieur Hovhannès Haroutiounian qui m’a confié ce souvenir.

Les Pies

Dans son habit du dimanche
Plumes noires, plumes blanches,
Élégante en queue-de-pie,
La coquette s’enhardit
Tout en gardant ses distances,
Attirée par ce qui brille.
 
La jacasse va et vient
Dans les parcs, les jardins
Qui embellissent la ville.
Voletant de toit en toit
D’arbre en arbre, la voilà
Dans sa tenue d’apparat,
Avec son long balancier
Qui s’irise de violet.
 
Plumes de jais, reflets bleus,
Chatoyances métalliques,
Les Ageasses rassemblées
Sur les câbles électriques,
Fanfaronnent bien un peu.
Elles se toisent, se chamaillent,
Curieuses, vives, bavardes,
Tandis qu’elles jouent au jeu
De la chaise musicale.
 
Quand les Pies sont de sortie,
Jabots noirs et ventres blancs,
Elles se disputent souvent
Et s’ébattent bruyamment ;
Mais en les voyant voler
Toutes plumes écartées,
Dans leur superbe livrée
Et leurs gants de communiantes,
 
Je ne peux pas m’empêcher
De les trouver attrayantes,
D’apprécier leur prestance,
Leur plumage distingué
Et cette franche alternance
Des plumes noires et blanches.

Noctuelle

D’un beau vert fluorescent,
Tu poinçonnes allègrement
Les feuilles du quinoa.
Je te laisse la vie sauve,
Curieuse de voir à quoi
Un jour tu ressembleras.

Tu peux agir à ta guise,
Manger avec gourmandise
Ce qui pousse autour de toi,
Quitte, en passant, à détruire
Quelques fruits en devenir,
Je ne te blâmerai pas.

Trou par ici, trou par là,
Je t’ai cherchée, te voilà !
Dans la jungle végétale
Où tu t’es dissimulée,
Des indices te trahissent…
Ton appétit te perdra !

Ton insatiable intestin
A causé bien des dégâts,
Car des limbes dévorées
Ne restent que les nervures
Et des branches désolées,
Sans leur écrin de verdure.

Il aura fallu du temps
À ta chenille si vorace
Pour parvenir à ses fins,
Et se cacher à l’abri
D’une feuille repliée
Soigneusement par ses soins.

Dans ce petit nid de soie
Tu te changes en chrysalide.
Je guette ce moment-là
Impatiente et attentive,
Pour assister à la suite
De cette naissance ultime.

Et ce matin je te vois,
Papillon couleur de bois,
Fragile humide et froissé
Dans ton costume d’écorce,
Tellement bien camouflé
Entre terre et feuilles mortes.

Sans bouger tu fais sécher
Ce corps nouvellement né,
Et les rayons du soleil
Repassent, sans les brûler,
Les écailles veloutées
De tes ailes, encore fermées.

C’est le cycle de la vie
Qui va se renouveler.
Laisse-moi te regarder
Avant que tu ne t’éveilles,
Que tu ne prennes tes aises
Pour t’envoler dans la nuit.

Un arbre dans la ville

C’est un arbre dans la ville
Entouré par du béton
Dans une cour si petite,
Le ciel pour tout horizon.

C’est un arbre solitaire
Par essence sédentaire,
Enclavé dans un lieu clos,
Ceinturé par les murs hauts
De tous ces grands bâtiments.

C’est un arbre en sa prison,
Toujours abrité du vent,
Malgré cela il profite
Du soleil et de la pluie,
De la neige ou des grêlons
Et de la lune qui luit,
Changeant au fil des saisons.

C’est un arbre qui se penche
Et dont les très fines branches
Se courbent près des façades,
Parce qu’elles manquent de place
Dans ce trop petit espace
Pour se déployer vraiment.

C’est un arbre qui m’emporte
Loin des tâches imposées
Par la vie en société…
C’est ma bulle d’oxygène
Et je me dis en moi-même
Que la nature est bien belle
Même enfermée de la sorte.