Ta rose

Tu l’avais laissée si belle
Dans sa carafe d’eau fraîche,
Ta rose d’anniversaire ;
Rouge bouton resserré
D’une fleur qui vient à naître,
Pendant que tu t’absentais
Quelques temps à l’étranger.
 
Mais quand tu revins chez-toi,
Six mois s’étaient écoulés
Et le printemps commençait
À reverdir les sous-bois.
Pouvais-tu imaginer
Ce qui se passait là-bas ?
 
Tandis que tu observais
Ce que tu avais quitté,
Dormant sous la couche fine
De cette poussière grise
Qui partout s’était glissée,
Ton regard fut attiré
Par ce tableau merveilleux
Déployé devant tes yeux ;
 
Elle trônait, irréelle,
Dans un angle de la pièce
Et s’était épanouie
D’une si belle manière
Que tu en fus ébloui…
Il te fallut un moment
Avant de bien reconnaître
Cette fleur encor fermée
Qu’une amie t’avait offerte.
 
Dans ce lieu qui abritait
Les œuvres que tu peignais,
Ses pétales veloutés
Lentement s’étaient ouverts,
Prenant doucement leur aise
Jusqu’à cette apothéose
Généreuse de la rose.
 
Ta rose d’anniversaire
Avait passé tout l’hiver
Seule dans ton atelier,
Et te donnait le meilleur
De ce qu’elle pouvait donner ;
Sa patience et sa beauté.


Ce poème est dédié à Monsieur Hovhannès Haroutiounian qui m’a confié ce souvenir.

J’ai ouvert le portail

J’ai ouvert le portail qui mène à mon jardin,
Vous pouvez y entrer, il n’y a pas de clef ;
Le matin la rosée fait briller le plantain,
Et la journée s’écoule dans un calme serein.
L’on vient s’y promener à toutes les saisons,
Laissant vagabonder son imagination.


L’on peut s’y attarder en écoutant les chants
Qui, venant des bosquets, montent au firmament ;
Méditer sur un banc, lire paisiblement,
S’arrêter un instant… Respirer les parfums
De la terre mouillée ou des herbes sauvages,
S’émerveiller sans fin, sans penser à demain,
De tout ce que la vie place sur nos chemins…
Admirer simplement la course des nuages,
La couleur de l’orage ou la douceur du temps.


Que vous soyez venu, visiteur de passage,
Cheminer par hasard le long de ces talus,
Ou, en habitué des beautés entrevues,
Si vous passez souvent en ce lieu de partage ;
Si vous aimez goûter au bienfaisant ombrage
Que les arbres présents laissent sous leur feuillage ;
Soyez le bienvenu dans ce paisible espace
Où se mêlent, sincères, qu’ils soient légers ou graves,
Ces vers qui vous entraînent dans leur heureux sillage.

Des forêts

Des forêts, des forêts,
Des forêts par centaines,
Des arbres par milliers
 
Des forêts qui défilent,
Des jours ou des semaines,
Aux yeux des passagers
Du train qui les traverse ;
 
Jeu d’ombre et de lumière
Qui alternent sans cesse
Dans le profond mystère
De ces travées sylvestres
 
Immensités sauvages,
Litanie végétale,
Nature préservée
Qui, à perte de vue,
Étend ses verts sommets…
 
***
Si l’on veut travailler
Dans ce qui nous motive
L’on peut être amené
À dépasser les rives
Qui nous ont vu grandir,
 
Quitter les êtres chers,
La terre que l’on aime,
Donner à l’avenir
De nouvelles frontières,
 
En laissant au hasard
Des chemins de traverse
Un peu de sa jeunesse
Et quelques souvenirs.


D’après un récit de Monsieur Hovhannès Haroutiounian.

Dans la steppe

D’un récit palpitant j’ai retenu ces vers ;
L’immensité du ciel, La couleur de la nuit,
Et cette lune claire qui veillait sans un bruit.
La longue traversée dans la steppe déserte,
Sous la voûte céleste t’éclairant à demi,
Après avoir passé quelques heures peut-être
En douce compagnie.
 
Une marche en silence de plusieurs kilomètres
Pour regagner à pied ton village endormi,
Bien avant que tes sens se mettent en alerte ;
Un léger tremblement provenant de la terre,
Vibrant sans s’arrêter, gagne en intensité
Tandis qu’à l’horizon avance, inexorable,
La grande masse noire qui s’approche en grondant.
 
La charge s’amplifie, martelant sans répit,
Au rythme trépidant des sabots qui piétinent ;
Ces secousses sismiques qui heurtent le terrain
Résonnent, se propagent dans ton corps aguerri
Qui poursuit son chemin sur la plaine sans fin.
 
Puis les ombres soudain, que tu voyais au loin
S’animer sans comprendre, se muent en un troupeau
D’innombrables chevaux lancés en plein galop
Qui se ruent sans attendre.
 
Ils viennent droit sur toi ; alors sans hésiter,
Courant à perdre haleine du côté opposé
Pour tenter d’échapper à une mort certaine,
D’un seul coup tu te jettes dans une simple ornière
Creusée non loin de toi.
 
De cette tranchée-là tu assistes sans voix
À une scène hippique, épopée fantastique
Qui se joue devant toi, gravant à tout jamais
Au fond de ta mémoire la sauvage beauté
Des chevaux écumants dont les muscles saillants
Luisent d’un bel éclat.
 
Un étalon puissant aux sabots imposants,
Pris dans cette lueur de l’astre voyageur,
Se cabre sous la lune ;
Dressant fougueusement sa silhouette fière
Il secoue sa crinière, allonge l’encolure,
Lançant au firmament un long hennissement.



Ce poème est dédié à Monsieur Hovhannès Haroutiounian qui m’a confié ce souvenir.