Un ouvrier

Assis dans le métro,
Le teint blanchi de plâtre
Et la joue mal rasée,
Dans ses gros godillots
Salis par les chantiers,
L’homme s’est assoupi.
 
Un sourire léger
Passe sur son visage,
Illuminant ses traits
À la peau burinée,
 
Offrant aux passagers
Daignant lever les yeux
De dessus leur portable,
Cet éclat remarquable
Qui donne leur beauté
Aux êtres que l’on croise.

Deux-mille-vingt sera

Deux-mille-vingt sera , ou ne sera pas,
Une bonne année… Qui pourrait le dire ?
Je ne le sais pas, mais quoi qu’il en soit,
Avons-nous le choix des mois à venir ?
 
Tout ce que l’on peut, c’est faire de son mieux
Pour bien l’accueillir, et se rendre utile ;
Se battre pour des causes qui en valent la peine,
Éclairer d’un sourire les jours qui vont et viennent,
 
Aimer comme il se doit la vie que l’on nous prête,
Chérir ceux qui sont là pour adoucir nos peines,
Écouter la nature et les choses subtiles,
Devenir plus humain, méditer et grandir !

En route vers le paradis

Il y a cinquante ans, venus pour présenter
Les croquis d’un projet de monument sculpté
Érigé en mémoire du Soldat inconnu,
Deux artistes se rendent au nord du Kazakhstan,
Là où sont déportés par villages entiers
Des peuples que la guerre a conduits bien souvent
Dans des camps opposés.


Un autobus manqué, le seul de la journée,
Il en faut davantage pour arrêter ces hommes
Dans la force de l’âge, et les deux amis partent
Vers le lointain village qu’ils doivent regagner ;
 
Des heures à marcher sans se décourager,
Écrasés sous le feu d’un implacable été,
Harcelés de nuées de moustiques zélés,
Bravant les kilomètres dans la steppe eurasienne
Avant de s’arrêter, fourbus et assoiffés,
Près d’un puits isolé des plus providentiels.
 
Un couple très âgé qui n’avait pas croisé
La route d’étrangers depuis belle lurette,
Accueille avec bonheur ces rares visiteurs
Dans la pénombre fraîche de l’humble maisonnette.
 
Le vieillard sympathique à la barbe fleurie,
Un vieux Russe typique des contes folkloriques,
Leur sert alors à boire une bonne vodka,
Évoquant, nostalgique, le tout jeune soldat
 
Qui avait découvert avec sa compagnie,
Lors de la Grande Guerre, le plateau d’Arménie ;
Sa montagne sacrée, Ararat, et le lac
De Van aux bleus reflets, tableau paradisiaque
Gravé à tout jamais dans ses yeux éblouis.
 
Puis la route reprend, jusqu’à ce qu’elle s’inscrive
Dans chacune des fibres des muscles douloureux,
Et quand au loin paraît sur le chemin poudreux,
Croix-Rouge sur fond blanc, le mirage tremblant
D’une unique ambulance, l’espérance renaît…
Il faut saisir sa chance et ne pas la lâcher.
 
Un seul geste suffit et les portes arrière
S’ouvrent sur une scène digne du Paradis ;
Car là, sur la banquette, d’une blancheur de neige,
Radieuse vision, des anges sont assis !
 
Ces fraîches jeunes filles en blouse d’infirmière,
Aux si roses pommettes et ravissant sourire,
Se sont un peu serrées pour leur faire une place,
Les laissant bouche bée, jusqu’au prochain village.
 
Gentiment escortés des belles polonaises,
La suite du voyage n’en est que plus léger ;
S’achevant en un rêve à demi éveillé,
Comme si ils allaient embarquer vers Cythère…


Ce poème est dédié à Monsieur Hovhannès Haroutiounian qui m’a confié ce souvenir.