Le courage

Le courage, n’est-ce pas
La volonté d’un enfant,
Âgé d’à peine quatre ans,
Qui décida de braver
La peur que lui inspirait
Ce recoin sous l’escalier ?
 
Dominant sa peur du noir,
Il s’enhardit pour aller
Dans ce lieu qui recelait
Les plus terribles secrets
Que l’on puisse imaginer ;
 
Et pour mieux apprivoiser
Cette obscurité hostile
Il resta là, sans bouger,
Jusqu’à ce que son papa
Vienne pour l’en déloger.
 
C’est ainsi qu’il remporta
Cette partie décisive
Qui devait l’envelopper
D’un délicieux prestige,
Et l’accompagne depuis
Sur les chemins de sa vie.


Ce poème est dédié à Monsieur Hovhannès Haroutiounian qui m’a confié ce souvenir.

Un message

Un message qui surprend,
Quelques mots sur un papier
Griffonnés hâtivement,
Un numéro, une adresse ;
C’est une main qui se tend,
Un sourire qui s’adresse
À quelqu’un de différent
Des autres gens qui se pressent
Dans le marathon du temps
 
C’est un déclic, un sursaut
D’humanité qu’il nous reste,
Une bouteille à la mer
Dans l’océan des visages
De ces inconnus qui passent,
Permettant aux plus discrets
De sortir de leur réserve ;
 
Une petite folie,
Probablement passagère,
Qui n’engage que le geste,
Dans un élan spontané,
Pour dire sans l’exprimer :
 
Tu es peut-être celui,
Ou celle que je cherchais ;
Quelqu’un qui a ce mystère,
Ce petit je ne sais quoi
Qui nous attire soudain,
Sans trop comprendre pourquoi.
 
Les êtres que le destin
Place sur notre chemin
Ne sont pas là par hasard,
Et sans doute qu’il était
Prévu de les rencontrer
Ici ou là, tôt ou tard.

Si tu perdais la vue

Si tu perdais la vue, serais-tu le même homme ?
N’aurais-tu pas gravé au fond de tes pupilles
Les mille et un pigments qui colorent la vie ?
N’aurais-tu pas en tête à leur évocation
Pour chaque mot choisi l’idée d’un coloris ?
 
Tu aurais à l’oreille chaque tonalité
Des notes de musique qui viennent s’y glisser,
Les battements d’un vers, d’un soupir ou d’un cœur.
Le silence lui même n’a-t-il pas sa couleur ?
 
Tu entendrais sans doute plus finement que nous
Le doux balancement qui anime le lac,
Le léger clapotis donné par le ressac,
Le claquement des vagues dès que la mer s’ébroue
 
La pie dans le prunier, les paroles sincères,
Les rires des enfants à la récréation,
Le long mugissement du vent qui se libère,
Le bonheur qui fredonne sa petite chanson
 
Tu aurais sur la peau toutes les sensations,
L’or brûlant de Phébus ou l’ambre du frisson,
La douceur de la brise qui caresse et qui grise,
Le corps qui irradie aux gestes du désir
 
Tu aurais sous les doigts le velours des tapis,
La fraîcheur du coton, la chaleur de la soie,
Le satin de la peau se lovant contre toi
Tel un cadeau béni que tu n’attendais pas ;
 
Le rouge du soleil derrière tes paupières,
Le blanc franc de l’hiver lorsque tombe la neige,
Le vert tendre d’avril recouvrant les prairies,
Le gris des jours de pluie ou le brun de la terre
 
Le fauve des forêts quand l’automne paraît,
Les éclats de lumière reflétés par la mer,
Les nuances du ciel colorant l’atmosphère,
Le bleu qui s’assombrit lorsque descend la nuit…
 
Tu pourrais respirer les lilas printaniers,
Le parfum des marées ou de l’herbe coupée,
De ces pierres chauffées au plein cœur de l’été ;
Puis les feuilles roussies tapissant les sous-bois,
Les odeurs de flambées, de sarments qui rougeoient,
Des aiguilles de pin crépitant dans la joie
 
Tu garderais le goût des grenades bien mûres,
Des abricots juteux que l’on mange là-bas,
Le goût du barbecue comme on le fait chez-toi ;
Tant de spécialités que je ne connais pas,
Des célèbres Tolmas au poulet Tapaka.
 
Si tu perdais la vue tu serais le même homme,
Avec des sens accrus te guidant autrement,
Et tu orienterais ta vie différemment
Avec la même fougue et le même courage,
 
Avec cette énergie qui se moque de l’âge,
Le regard aiguisé par ta vaste culture,
Mu par la réflexion que l’esprit te procure,
L’âme toujours tendue vers la vie qui surprend
Et l’œuvre des grands maîtres qui toujours nous apprend.

Un ouvrier

Assis dans le métro,
Le teint blanchi de plâtre
Et la joue mal rasée,
Dans ses gros godillots
Salis par les chantiers,
L’homme s’est assoupi.
 
Un sourire léger
Passe sur son visage,
Illuminant ses traits
À la peau burinée,
 
Offrant aux passagers
Daignant lever les yeux
De dessus leur portable,
Cet éclat remarquable
Qui donne leur beauté
Aux êtres que l’on croise.