Carré de Roses

– À Thierry L.-C.

Carré de roses, sentiers secrets,

L’orage gronde, le gris gagne,

Les cieux se voilent de nuages

Où l’astre brillant transparaît

Et les cigognes affairées,

En sentinelles des sommets,

Élégantes ombres chinoises,

S’attellent à la noble tâche

De parfaire leur nid douillet

D’après « Cigogne au crépuscule » de TLC, photographie sous licence .

Les Bannis

– À Hovhannès Haroutiounian –


Ils ont abandonné tout ce qu’ils possédaient,

Les tombes de leurs pères, la terre où ils vivaient,

Les cieux qui leur offraient l’éther et l’Empyrée,

Cheminant jour et nuit sans boire ni manger

Dans ce désert brûlant où tant d’autres périrent,

Innocentes victimes aveuglément broyées

Par la sauvagerie et la cupidité.

Survivant aux massacres lâchement perpétrés,

Unis dans la douleur et la nécessité,

Ils ont fui leur patrie si tendrement aimée

Pour trouver d’autres lieux pouvant les accueillir

Avec pour tout bagage leurs profondes racines.

De là, sans ménager leur peine ni leur vie,

Ils se sont adaptés aux règles du pays

Enrichissant leurs hôtes de solides valeurs,

De multiples talents, de généreux esprits,

De l’immense héritage de siècles de labeur

Avec reconnaissance, courage et empathie.

Ces êtres malmenés, condamnés à l’exil

Par d’autres qui n’ont pas leur antique culture

Mais détruisent la leur au fur et à mesure

En déformant l’Histoire au gré de leurs envies

Poursuivant aujourd’hui tous ces crimes qu’ils nient,

Au nez et à la barbe d’une Europe assoupie

Incapable d’aider un peuple dit « ami »

Se battant comme un lion contre la perfidie ;

Ces êtres rescapés de tant d’atrocités

Ayant pris pour beaucoup le parti de se taire,

Ont planté autour d’eux quelques petites graines

Laissant leurs descendants gérer l’ignominie

D’actes qui laisseront, avec leurs cicatrices

Des personnalités éprises de justice

À l’acuité de l’aigle veillant sur ses petits,

Sans jamais oublier leur pays d’origine

Avec lequel ils gardent des liens indéfectibles.

Poème inspiré par l’œuvre d’Hovhannès Haroutiounian : « Les Bannis »

Huile sur toile, 41 x 27cm, 2023.

L’inconnu du train Paris-Lorient

– À mon cher oncle Pierre-Alain Jaouën –
– À James Poniard, son ami de longue date –
– À l’inconnu du train Paris-Lorient –


L’inconnu dans le train m’a rappelé tes yeux

Aux lunettes cerclées de métal argenté ;

Ces années de jeunesse où tu portais la barbe

Quand avec tes amis des Beaux-Arts, amusés,

Vous aviez décidé de rendre cet hommage

Au grand talent d’Henri de Toulouse-Lautrec

En t’immortalisant dans ce portrait en pied ;

Photographie sépia aux coloris passés,

Souvenir émouvant d’une vie achevée

Qui hante ma mémoire tristement endeuillée.

L’inconnu dans le train avait un peu tes traits,

Figés sur le papier voilà bien des années

Quand, posant à genoux devant un chevalet,

Ton carton à dessin dessous le bras glissé

Un chapeau melon noir parfaisant ce portrait,

Tu fixais l’objectif, sérieux et habité

Par l’auguste mémoire du Maître regretté.

L’inconnu dans le train se souviendra peut-être,

S’il lit un jour ces vers inspirés au matin,

Qu’il croisa mon chemin un jour de grande peine

Et te ressuscita pour un temps incertain.



Une vie d’artiste

– À Monsieur Pierre-Alain Jaouën –


Pour Tonton qui disait en plaisantant « qu’il était une bande de jeunes à lui tout seul. » (Renaud)


Le silence a fait suite à la grande musique…

Ton âme était murée dans l’enveloppe triste

De ce corps décharné condamné au mutisme ;

Tant d’années prisonnier, absent à ta vie même,

Privé de ces passions qui en donnaient le sel.

Des siècles à fouiller contre vents et marées,

Pour rechercher des traces de vie fossilisée

Dès le Précambrien, puis les ères d’après,

Permettant d’avancer dans ce rare domaine ;

Offrant tes connaissances à différents musées.

Une vie de travail, galérien volontaire

Entre ton tour à pied, le four et l’atelier,

Après des années phare aux Beaux-Arts à créer

Ces œuvres raffinées, en digne céramiste.

Les argiles, les grès, la porcelaine fine,

Poteries délicates soigneusement poncées ;

Les pigments, les émaux, les engobes poudrés,

Le raku, les biscuits, les pièces qui chantaient

Tout en refroidissant après chaque fournée

Empreintes végétales et décors stylisés

Transparents ou opaques, aux savantes patines,

Manganèse et cobalt, oxydes métalliques,

Bronze, Sienne brûlée, ocre jaune ou bleu nuit ;

Craquelés et coulures, surfaces vitrifiées,

Brillants, mats et glaçures aux robes satinées,

Des rares céladons aux beaux rouges de Chine ;

Ces trésors de la terre sublimés par le feu

Que ton talent créait en te rendant heureux

Émerveillent toujours nos âmes orphelines.

Frère très estimé et père dévoué,

Fidèle à tes amis, dans la simplicité

De ce tempérament solitaire assumé ;

En ces moments de deuil, des étoiles scintillent :

Celles qui dans tes yeux illuminaient l’été.

Jeune femme arménienne

– À Hovhannès Haroutiounian –


Jeune femme arménienne

À la bouche vermeille,

La joue plus veloutée

Qu’une peau d’abricot

En ce printemps nouveau,

Jeune femme arménienne

Aux longs cheveux de miel

Relevés en chignon,

Rehaussé de fleurs fraîches

Ainsi que papillons,

Jeune femme arménienne

Souriant à la vie,

Si douce et naturelle

Sous le ciel d’Arménie,

Te rends-tu à la fête

Danser le kotchari* ?

Jeune femme arménienne

Du foyer la gardienne,

Fleuron de la nation,

À quoi penses-tu donc

Quand ton regard se perd

Par-delà l’horizon ?

Jeune femme arménienne

À la belle âme fière

Inspirant les poètes

Et peintres de renom,

Où s’envolent tes rêves

Quand souffle l’aquilon ?


* danse traditionnelle arménienne

Jeune femme arménienne, huile sur toile de Hovhannès Haroutiounian, 33 x 41 cm, 2007.