Qu’on lui donne un cheval

Si il a du courage,
Qu’on lui donne un cheval,

S’il a une belle âme,
Qu’il apprenne des sages,

Si il a du talent,
Qu’on lui laisse le temps
De suivre son élan
Et peaufiner son art,

Si il a le cœur pur
Et si la solitude
Pèse sur son travail,

Qu’on lui donne l’amour
Pour qu’au lever du jour
Il puisse aussi l’inclure
Au cœur de sa peinture.

Aphrodite

Ainsi donc elle est là, la belle, la superbe
L’ultime tentation des hommes qu’elle obsède,
La grande séductrice, la déesse Aphrodite !

Voici la femme extraite de sa gangue de marbre,
Une exquise personne si blanche et si diaphane,
Née de l’amour d’un homme, un sculpteur, un poète
Qui a pendant des heures, des jours et des semaines,
Taillé, poncé, poli l’objet de ses fantasmes
Sans jamais se lasser, mû par l’élan vital,
La passion de son art, le génie créateur,
Et a su exprimer l’essence du divin,
La quintessence du féminin.

Voyez cette égérie déployant ses atouts
Pour inspirer l’amour. Chacune d’entre nous
Rêverait de la voir ne serait-ce qu’un jour
Dans le cruel reflet que renvoie son miroir ;
La perfection du corps, la grâce de ses traits,
Le galbe de ses seins et celui de ses hanches
Sa charmante pudeur, la bonté qu’on devine
Et sa douceur en prime… bien que tellement froide,
On ne peut tout avoir !

Celle qui par son charme t’a aussitôt tenté
Et fait tourner la tête au point d’aller braver
La règle du musée, écrite en toutes lettres :
« INTERDIT DE TOUCHER »…
Mais séduit par les formes de la statue célèbre,
Tu la pris dans tes bras pour lui baiser les fesses,
Sous les yeux médusés du gardien stupéfait
De pareilles manières, mais peut-être amusé
D’un élan si sincère et aussi passionné.

Hovhannès

Hovhannès est un roi au milieu de ses toiles,
Son univers est gai, coloré, lumineux,
Il y a de la fougue dans les scènes d’Histoire
Où l’Arménie vibrante apparaît tour à tour
Dans toute sa vaillance et sa délicatesse.
 
Il y a de la douceur et de la poésie,
Une infinie tendresse dans ses nus alanguis ;
Les teintes se mélangent en belles harmonies
Portées par l’énergie des pulsions créatrices,
Animées par l’ivresse d’un pinceau qui s’éveille
Entre les doigts du peintre et court, plein de promesses,
Sur la surface lisse du tableau qui va naître.
 
Hovhannès est un homme qui apprécie les femmes
Qu’il croque et portraiture avec tout son talent.
Les lumières, les ombres, les formes, les couleurs,
Les volumes, les traits, n’ont plus aucun secret ;
Les touches papillonnent pour insuffler la vie
À tous ces personnages dont l’âme resplendit.
 
La texture des corps, le velouté des peaux,
L’intensité des ciels, la profondeur des eaux,
Les scènes de batailles, les foules bariolées,
Les chevauchées puissantes, un arbre en majesté…
Sa palette est pastel, vive et sombre parfois
Quand la mer agitée prend d’assaut les rochers,
Ou quand l’astre couchant allonge son reflet
Sur une eau apaisée, mauve aux accents violets.
 
Soixante-sept années, et combien de travail,
Combien de temps passé à scruter un dessin
Et sa réalité, devant un chevalet,
En expérimentant les possibilités
De l’huile, la sanguine, le lavis, le fusain…
Pour que son art atteigne ce degré d’excellence
Et que le visiteur soit conquis par la danse
Des pigments qui se mêlent, s’opposent, se répondent ;
Les poses naturelles, l’humanité profonde
Du modèle et du peintre pris dans la même ronde.
 
Hovhannès est un être épris de liberté.
Bon vivant, séducteur, il rit et parle fort ;
Il a l’œil malicieux, le visage sculpté
Des sillons d’une vie intense et passionnée
Faite de traversées d’un continent à l’autre.
Riche de sa culture et des mondes nouveaux
Qu’il a pu découvrir ; franchissant des déserts,
Montagnes et forêts, océans et rivières…
Il capte l’atmosphère pour mieux s’en inspirer.
 
Chaud et grave à la fois, son accent nous transporte
Du côté de l’orient où plongent ses racines.
Ses mots sont des galets brassés par le courant
Qui roulent dans sa bouche, ouvrant par son langage
Une large fenêtre invitant au voyage.
 
Libre de toute entrave, Hovhannès impressionne,
Mais il peut se montrer aussi doux et discret,
Proposant de laisser un souvenir tangible
En délicate esquisse sur la page d’un livre.
Alors le geste sûr, la pupille aiguisée,
Caressant le papier de son crayon habile,
Il trace sans ciller, un regard, un sourire,
L’ovale d’un visage, l’évocation d’un nez…
Et soudain tout est dit, l’essentiel apparaît,
La beauté intérieure s’exprime et irradie.