Je me souviens de ce moment

– À ma fille –


Je me souviens de ce moment

Si singulier et hors du temps,

Gravé au plus profond de moi ;

Je me souviens de cet état,

De l’inconnu de ce jour-là.

Je me souviens dans un brouillard

D’une salle au blanc carrelage,

De son éclairage blafard ;

Des graphismes oscillatoires

Soulignant nos rythmes cardiaques.

Je me souviens de la fatigue,

Des contractions qui se propagent,

De la douleur qui se dessine,

Du sifflement de la machine

Perçant le silence du soir.

Je me souviens de cette attente,

Des allées et venues fréquentes,

De l’agitation grandissante,

Du souffle court, de la poussée,

Des tremblements incontrôlés.

Je me souviens des à-côtés ;

D’une présence appréciée,

Du bienfait de l’eau brumisée

Dans la bouche et sur le visage,

De l’empathie des sages-femmes.

Je me souviens du temps d’après,

Du sang et des chairs suturées ;

Tant d’efforts, de douleurs, de cris,

Tandis que l’on donne la vie

Du plus profond de l’énergie

Qui précède nos destinées.

Je me souviens d’un corps vanné,

Endolori et méritant,

Rêvant qu’on lui fiche la paix ;

Du cordon qui nous reliait,

Palpitant encor quelques temps.

Je me souviens, c’était si beau,

D’un bébé posé sur ma peau,

La bouche avide de téter ;

Récompense ultime du jour

Et couronnement de l’amour.

Je me souviens, c’est dérisoire,

D’un plateau-repas sur le tard

Savouré comme un grand festin,

Le jeûne stimulant ma faim.

Je me souviens de cette chambre,

Irréelle au bout du couloir

Et, par moments, de cris de femmes

Qui résonnaient dans la nuit noire,

Tel un écho dans le lointain,

Accélérant mon pouls soudain.

Je me souviens de la conscience

Du nécessaire cheminement

Qui mène au rôle de parent ;

De la responsabilité

Assumée devant l’existence,

Qui me suivrait jusqu’à la fin.

Je me souviens de ce berceau,

Prolongement d’une lignée,

Témoin d’une nouvelle histoire,

Où reposait un nouveau-né,

Que je caressais du regard.

Je me souviens de toi, bébé,

Que je contemplais sans y croire,

Entre étonnement et espoir ;

Le plus merveilleux des cadeaux

Que l’on puisse un jour recevoir.

Incantation à la lune

– À L. –


Lune qui règne sans partage

Sur les marées et sur les femmes,

Influençant nos existences

À une appréciable distance,

Déclencheras-tu cette vague

Qui guide le bébé vers de nouveaux rivages ?

L’invitant simplement à quitter sans dommages

Un monde entouré d’eau pour un autre berceau,

L’osmose maternelle pour un autre univers ;

Pour vivre sur la terre un singulier voyage

Et goûter la caresse d’un tendre peau à peau.

Un phare dans la tempête

La vie réserve des moments

Qui nous plongent dans le tourment

Sans que l’on n’y puisse rien faire ;

Le jour où l’un de ses parents

Change soudain de caractère,

En proie à de folles chimères.

L’enfant devient alors parent

De l’adulte de son enfance

Redevenu petit enfant,

Prisonnier de la dépendance,

Perdant ce qui avait forgé

Sa riche personnalité.

Et l’on se retrouve impuissant

Devant la triste déchéance

Qui nous ravit cet être cher,

Bousculé par la fulgurance

De cette descente aux enfers

Pour laquelle on est sans remède.

C’est un douloureux crève-cœur

Qui ne nous laisse pas indemne ;

L’on ne revient pas en arrière

De ce cataclysme intérieur,

Face à l’anéantissement

D’un pilier de sa jeunesse.

C’est la fin de l’âge insouciant

Où l’on se reposait, confiant,

Sur une épaule familière…

C’est un phare dans la tempête

Qu’inéluctablement l’on perd

Et qui nous laisse un goût amer.

Bientôt papa

– À J. –

Devenir bientôt papa
Et pour la première fois,
Dis-moi, cela te fait quoi ?
Éprouves-tu cet émoi ;
L’enthousiasme, la fierté
La douce félicité,
L’inspiration ou le poids,
Que tu n’imaginais pas,
Des responsabilités
Qui t’incombent désormais,
À l’heure d’être papa ?
 
De l’amour, de la tendresse
Pour ce nouveau petit être
Qui grandit de mois en mois ;
Le cœur qui bat ardemment
Quand tu endosses, conscient
Du changement qui t’attend,
Le beau costume de père,
Avant que le charme opère
Et que d’un coup tout s’éclaire,
Le jour de la découverte ;
Quand tu seras nez à nez
Avec l’enfant nouveau-né.