Cet enfant

Cet enfant dans le métro
Qui se tient près de sa mère
M’observe sans dire un mot
Tandis que ses yeux s’éclairent

Cet enfant qui me regarde,
Dans la rame surchargée,
A capturé mon regard
Et ne l’a jamais quitté

Ce garçon à la peau noire
Et au regard si profond
S’est noyé dans mon regard
Comme dans un puits sans fond

Cet enfant qui m’attendrit
Me regarde sans détour
Et me rendant mon sourire,
Ses yeux sourient à leur tour

Cet enfant qui me sourit,
Cerné par des corps serrés
Agglutinés à la barre,
Reste debout sans bouger,
Accroché à mon regard

Cet enfant qui me fait face
A la candeur d’un agneau,
Et lorsque sa bouche esquisse
L’arrondi de son sourire,
Une lumière paisible
Illumine son visage
Et s’attarde sur sa peau

Cet enfant aux yeux de jais
Peut-être âgé de sept ans,
Me sourit sans se lasser,
Rivant sur moi ses pupilles
De charbon de bois brûlant

Cet enfant aux yeux si doux,
Au minois si délicat,
Porte telle une évidence
L’innocence de l’enfance,
Celle qui ne trompe pas,

Et libère tout à coup
Le plus secret des passages,
Celui qui conduit à l’âme,
Et que l’on ne cherchait pas.

Ce soir dans la foule dense
Rayonnait une présence.
Souriez si ça vous chante,
Croyez-le si ça vous tente ;
Ce soir, j’ai croisé un ange.

Je t’ai laissée

– À ma fille –


Je t’ai laissée toute seule, avec ton gros sac à dos,
Toute seule à cette table, avec un chocolat chaud
 
Un chocolat chaud fumant, déposé sur un plateau,
Un plateau dans une gare, attendant que le panneau
Le panneau bleu des départs ou l’annonce par micro,
Micro à la voix suave signalant avec des mots
Des mots distincts et courtois, comment rejoindre illico
Illico presto les quais des trains internationaux.
 
Je t’ai laissée toute seule, avec ton pesant fardeau,
Fardeau alourdi de livres qui pesaient plusieurs kilos,
Kilos de littérature choisie avec le brio
Brio d’un esprit curieux de se plonger dans les mots ;
Mots d’autrices et d’auteurs qui t’entraîneront plus haut
Plus haut que pourraient le faire médias et jeux vidéo.
 
Je t’ai laissée toute seule, avec le cœur un peu gros,
Gros d’un amour maternel, triste que tu sois bientôt
Bientôt loin de ta famille, même si grâce aux textos,
Aux textos et au portable, je peux entendre l’écho
L’écho de ta voix ravie de te trouver à nouveau,
 
À nouveau dans cette ville dont tu aimes le château,
Le château et l’atmosphère, les promenades à vélo
À vélo pour explorer la forêt, incognito,
Incognito et comblée d’écouter les chants d’oiseaux
Les chants d’oiseaux et la flûte, le clavecin, le piano ;
Piano dont tes doigts agiles puisent de beaux concertos.
 
Je t’ai laissée toute seule, et je reste avec mes mots…

Un dimanche de juillet

Promenade d’été
Dans Paris déserté,
Le square d’à côté
Nous offre un de ses bancs
Pour s’asseoir un moment.

Il fait encore très chaud
Et l’on peut déguster
Un esquimau glacé,
Petite parenthèse
Aux saveurs oubliées.

Des enfants font des bulles
De savon irisées ;
Jaillissant en cascades
Elles viennent nous frôler,
Transparences moirées.

Poussées au gré du vent
Elles s’envolent ou se posent.
Un instant elles exposent
Leurs reflets chatoyants
Pour mieux être admirées,

Puis éclatent sans bruit,
Disparaissent en laissant
Sur la peinture verte
Du bois de notre banc,
La poussière de l’allée
Ou le gazon coupé ;

Éclaboussures fraîches,
Vivifiants mouchetis,
Fines traces mouillées
Trop vite évanouies
Au soleil de juillet.

Dans le kiosque à musique 
Des jeunes s’initient
À la flûte de Pan,
Ignorés des passants…

Je pense à toi, ma fille,
Flûtiste et étudiante,
Musicienne dans l’âme,
Motivée, assidue,
Brillante et résolue,
Vaillante et opiniâtre,

Qui poursuis loin des tiens,
Dans un autre pays,
Le chemin de ta vie,
Et qui t’y trouves bien.

Départ

– À ma fille –


La nuit était bien noire quand nous sommes parties,
Le trottoir résonnait de l’étrange musique
Que font nos pas avant que s’éveille la ville.
 
Il faisait encor doux, les oiseaux gazouillaient
Comme un matin de mai, bien qu’on soit fin novembre,
Et je t’accompagnais où ton cœur te guidait,
Profitant des instants où l’on était ensemble,
Avant que tu ne partes une semaine au loin
Étudier au lycée de l’internat de Reims.
 
Dans le métro déjà, peu à peu tu songeais
À ces futurs trajets que tu ferais sans moi,
Et je t’ai vue sourire, une nouvelle fois
Pendant que pianotaient avec agilité
Tes doigts sur l’écran lisse, tactile, d’un portable,
Outil indispensable aux jeunes de ton âge
Te reliant aux autres ; échangeant des messages
Avec tes équipières, tes copines de classe…
 
Je voyais le visage d’une jeune fille calme
Qui semblait plus sereine, plus heureuse de vivre,
Et moi qui suis ta mère, attendant ton départ,
Debout et solitaire sur le quai de la gare,
J’en ai été plus fière que je ne saurais dire.