Dix-sept ans

– À A. –


J’ai eu moi aussi dix-sept ans,
Mais tout était si différent ;
Un autre temps et d’autres mœurs
Dans la recherche du bonheur.
L’horizon était loin devant,
Inatteignable avant longtemps
 
J’ai eu moi aussi dix-sept ans,
Avec des projets plein la tête
Et ces inaccessibles rêves
Qui brillaient dans le firmament…
J’avais pourtant les pieds sur terre
Mais ma réserve naturelle
M’empêchait d’aller de l’avant
 
J’ai eu moi aussi dix-sept ans,
Avec le sentiment tenace
De m’être égarée dans ce siècle
Et de ne pas trouver ma place,
Différente parmi mes pairs,
Entre peur de vivre et mal faire ;
En quête de points de repères
 
J’ai eu moi aussi dix-sept ans,
Et le cœur qui bat la chamade ;
Des espoirs fous, des dérobades,
Tant et tant de questionnements…

Elles dorment

Elles dorment toutes les deux,
Détendues, tranquillisées,
Couchées l’une contre l’autre
Tout conflit désamorcé.
 
Elles dorment, abandonnées,
Leurs chevelures mêlées,
Et leurs visages si proches
Peuvent presque se toucher.
 
Elles dorment, sans se lasser.
La lumière de l’été
Passe à travers les volets,
Effleurant leurs yeux fermés.
 
Elles dorment ; et quand leurs lèvres
Délicatement s’entrouvrent,
Je peux percevoir leur souffle
Et parfois je vois leurs rêves
 
Dessiner sous leurs paupières
Des mouvements saccadés
Tandis que leur doigts légers
Aux gestes désordonnés
Caressent doucement l’air.
 
Elles dorment, le cœur en paix,
La tête sur l’oreiller ;
Rien ne peut leur arriver
Car leur mère est là qui veille
Sur le paisible sommeil
De ses filles bien-aimées.

Cet enfant

Cet enfant dans le métro
Qui se tient près de sa mère
M’observe sans dire un mot
Tandis que ses yeux s’éclairent

Cet enfant qui me regarde,
Dans la rame surchargée,
A capturé mon regard
Et ne l’a jamais quitté

Ce garçon à la peau noire
Et au regard si profond
S’est noyé dans mon regard
Comme dans un puits sans fond

Cet enfant qui m’attendrit
Me regarde sans détour
Et me rendant mon sourire,
Ses yeux sourient à leur tour

Cet enfant qui me sourit,
Cerné par des corps serrés
Agglutinés à la barre,
Reste debout sans bouger,
Accroché à mon regard

Cet enfant qui me fait face
A la candeur d’un agneau,
Et lorsque sa bouche esquisse
L’arrondi de son sourire,
Une lumière paisible
Illumine son visage
Et s’attarde sur sa peau

Cet enfant aux yeux de jais
Peut-être âgé de sept ans,
Me sourit sans se lasser,
Rivant sur moi ses pupilles
De charbon de bois brûlant

Cet enfant aux yeux si doux,
Au minois si délicat,
Porte telle une évidence
L’innocence de l’enfance,
Celle qui ne trompe pas,

Et libère tout à coup
Le plus secret des passages,
Celui qui conduit à l’âme,
Et que l’on ne cherchait pas.

Ce soir dans la foule dense
Rayonnait une présence.
Souriez si ça vous chante,
Croyez-le si ça vous tente ;
Ce soir, j’ai croisé un ange.

Je t’ai laissée

– À ma fille –


Je t’ai laissée toute seule, avec ton gros sac à dos,
Toute seule à cette table, avec un chocolat chaud
 
Un chocolat chaud fumant, déposé sur un plateau,
Un plateau dans une gare, attendant que le panneau
Le panneau bleu des départs ou l’annonce par micro,
Micro à la voix suave signalant avec des mots
Des mots distincts et courtois, comment rejoindre illico
Illico presto les quais des trains internationaux.
 
Je t’ai laissée toute seule, avec ton pesant fardeau,
Fardeau alourdi de livres qui pesaient plusieurs kilos,
Kilos de littérature choisie avec le brio
Brio d’un esprit curieux de se plonger dans les mots ;
Mots d’autrices et d’auteurs qui t’entraîneront plus haut
Plus haut que pourraient le faire médias et jeux vidéo.
 
Je t’ai laissée toute seule, avec le cœur un peu gros,
Gros d’un amour maternel, triste que tu sois bientôt
Bientôt loin de ta famille, même si grâce aux textos,
Aux textos et au portable, je peux entendre l’écho
L’écho de ta voix ravie de te trouver à nouveau,
 
À nouveau dans cette ville dont tu aimes le château,
Le château et l’atmosphère, les promenades à vélo
À vélo pour explorer la forêt, incognito,
Incognito et comblée d’écouter les chants d’oiseaux
Les chants d’oiseaux et la flûte, le clavecin, le piano ;
Piano dont tes doigts agiles puisent de beaux concertos.
 
Je t’ai laissée toute seule, et je reste avec mes mots…