Râpa Nui, la triste, l’inconsolée

      quand, las d’une vie immobile
sur les terres de leurs pères,
ils prenaient à nouveau la mer,
Ils emportaient dans leur  sillage
les craintes, les espoirs et les rêves
                         de tout un peuple

        ils avaient perdu la mémoire
de leur lointaine origine,
ils savaient, à travers les récits,
qu’ils étaient venus d’île en île,
qu’ils avaient trouvé et perdu
cent fois leur petite patrie,
que les cendres de leurs ancêtres
et leur histoire s’égrenaient     
à travers un archipel improbable,
le long  d’une route mythique
d’ouest en est sur le grand océan,
une sorte de voie lactée traversée,
au cours des âges et des saisons,
non d’un essaim de météorites,
mais par des centaines, des milliers
de ces pirogues à balancier
dont leurs ancêtres avaient le secret

pour eux, il n’y avait pas d’horizon,
pas d’univers caché déjà là,
à découvrir et à conquérir car,
selon leurs croyances anciennes,
les terres sortaient de l’eau,
au gré des dieux, à leur approche,
et ils plongeaient leur main
dans la mer. le long de la coque,
pour sentir les courants marins
qui les conduisaient là où,
de tout temps, ils devaient aller

    ainsi étaient nés, sur leur route,
au cours du temps, des siècles,
des millénaires peut-être,
d’étranges chapelets d’îles,
et la plus belle d’entre elles,
                   l’incomparable Tahiti
qui devait être le terme final
de leur errance, la terre promise,
le pays de Canaan
où leur peuple devait séjourner
       et être heureux pour l’éternité

         mais le démon de l’aventure,
l’orgueil, les entraînera à nouveau
sur les mers, vers le Levant,
dans l’espoir insensé, le projet fou
d’être les premiers dans l’univers
à voir le Soleil naître des eaux
tel le Dragon Surgissant
                            du Fleuve Rouge


    mais ils avaient fatigué les dieux
qui dresseront sur leur route,
au terme d’une longue errance
la triste, l’inconsolée Râpa Nui
qui sera leur tombeau et où,
ayant brûlé les embarcations
qui les avaient conduits,
pour leur malheur, sur cette terre
stérile, ils agoniseront longtemps
puis, à la fin, se laisseront mourir,
désespérés, tournant le dos à la mer

comme les Moaïs, ces statues géantes,
qu’ils s’épuiseront à tailler dans le roc
et à traîner jusqu’au bord de l’eau,
où ils se dressent encore aujourd’hui,
impavides,  le regard vide, déplorant
sans fin le tragique destin d’un peuple
né pour le chant, la danse, le bonheur,


ces fils du soleil et des mers chaudes
prisonniers ici des courants froids
de l’Antarctique, sur un sol désolé,
une roche nue, sans arbres ni bêtes,
sans autre forme de vie venue d’ailleurs
que les dauphins et les oiseaux de mer,
rappelant cruellement à ces proscrits
les terres heureuses, inaccessibles
                                                     à jamais




Poème de Jped
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